France: la commission d'enquête parlementaire sur la mort d'Yvan Colonna pointe de «graves défaillances»
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"Graves défaillances" dans l'appréciation de la dangerosité de Franck Elong Abé, "rigueur" excessive à l'égard d'Yvan Colonna, et série de "dysfonctionnements" d'ordre général: la commission parlementaire chargée d'enquêter sur l'agression mortelle du militant indépendantiste corse en prison publie mardi un rapport sévère.
Yvan Colonna, qui purgeait une peine de réclusion à perpétuité pour l'assassinat du préfet Claude Erignac en 1998, avait été violemment agressé le 2 mars 2022 dans la salle de sports de la prison d'Arles par Franck Elong Abé, un homme radicalisé de 36 ans condamné notamment dans un dossier terroriste.
"L'histoire d'Yvan Colonna" est "aussi celle de 25 années d'une relation tourmentée", "parfois cruelle" et "éminemment politique" entre l'Etat français et la Corse, écrit le rapporteur Laurent Marcangeli (député de la Corse-du-Sud, Horizons) dans son introduction.
Le rapport, adopté à l’unanimité des 28 députés de la commission, met en parallèle la "sévérité" du traitement carcéral imposé à Yvan Colonna - le refus de lever son statut DPS ("détenu particulièrement signalé") malgré un comportement de "détenu modèle", empêchant son transfert vers une prison corse - et la "gestion erratique" voire les "mansuétudes" dont a au contraire bénéficié Franck Elong Abé, également DPS.
Ce dernier, atteint de troubles psychiatriques et classé TIS (pour "terroriste islamiste"), notoirement radicalisé et signalé comme très dangereux, avait combattu auprès de talibans en Afghanistan au début des années 2010, et multiplié les incidents en prison (violences, prosélytisme).
"Il n'était pas un terroriste lambda", a insisté le président de la commission, Jean-Félix Acquaviva (député Liot de la Haute-Corse), lors d'une conférence de presse commune avec le rapporteur Laurent Marcangeli.
Mais Franck Elong Abé est l'un des très "rares" TIS à ne pas être passé en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) malgré huit demandes. Et, quelques mois avant l'agression, il avait même obtenu le poste convoité d'"auxiliaire", affecté au nettoyage des salles de sport.
Une erreur "manifeste", une "prise de risque inconsidérée", déplore le rapport, qui note qu'il était le seul détenu de France ayant à la fois le statut DPS et TIS à travailler au "service général", permettant une autonomie de déplacement, contrairement au travail en atelier.
Une autonomie qui lui a "permis de tuer" Yvan Colonna. "Comment est-ce possible ?", s'est insurgé M. Acquaviva devant la presse.
M. Marcangeli a rappelé que Frank Elong Abé aurait dû sortir de prison fin 2023, et a appelé à travailler d'avantage sur "la sortie" des détenus radicalisés.
"Tournis"
Parce qu'Yvan Colonna "n'aurait jamais dû mourir en prison de la main d'un de ses codétenus", la première recommandation du rapporteur est "symbolique": l'Etat doit s'engager "formellement" sur le rapprochement familial des détenus corses, en faisant les travaux de sécurisation nécessaire au centre pénitentiaire de Borgo (Haute-Corse).
Alors que les soutiens d'Yvan Colonna dénonçaient depuis des années le maintien de son statut DPS comme une "vengeance d'Etat", la commission d'enquête recommande d'inscrire ce statut dans la loi, en y associant des critères prédéfinis.
Quant aux défaillances à la maison d'Arles, qui gère pourtant des profils lourds, "elles sont tellement nombreuses qu'elles donnent le tournis", a déclaré Laurent Marcangeli. Il a mentionné le défaut "anormal" de surveillance, qui a permis à Franck Elong Abé de rester seul plus de dix minutes avec Yvan Colonna, en partie lié au manque de moyens humains propre à la pénitentiaire.
Il a également pointé le "circuit de remontée d'information", "manifestement défaillant" : la phrase "je vais le tuer" entendue par une surveillante, possiblement attribuable à Franck Elong Abé, ainsi que son changement de comportement peu avant l'attaque, n'avaient pas fait l'objet de remontées à la hiérarchie.
Le rapport recommande par ailleurs d'améliorer la coordination entre les différents services de renseignement, de rendre obligatoire l'évaluation ou la réévaluation d'un détenu TIS avant son intégration en détention classique.
Il préconise enfin que la prise en charge des troubles psychiatriques soit "le prochain chantier d'ampleur de l'administration pénitentiaire": "beaucoup de nos détenus n'ont pas leur place en prison", a martelé Laurent Marcangeli en conférence de presse.
Il a espéré que les "zones d'ombres" restantes seraient levées par l'enquête judiciaire, toujours en cours.
Franck Elong Abé avait justifiée l'agression mortelle par des "blasphèmes" qu'auraient prononcés Yvan Colonna, ce que M. Acquaviva peine à croire. Le député de la Haute-Corse évoque, lui, dans son avant-propos, la "thèse de l'action +barbouze+" que de nombreux Corses "n'excluent pas" - et espère que l'enquête étudiera "toutes les hypothèses".