La menace de l'IA, ultime affront pour les scénaristes en grève d'Hollywood
Une grève des scénaristes et des acteurs paralyse Hollywood depuis le 2 mai. Un mouvement inédit pour réclamer des hausses de salaire.
Table of Contents (Show / Hide)
![La menace de l'IA, ultime affront pour les scénaristes en grève d'Hollywood](https://cdn.gtn24.com/files/france/posts/2023-08/33eh624-preview_0.webp)
Une grève des scénaristes et des acteurs paralyse Hollywood depuis le 2 mai. Un mouvement inédit pour réclamer des hausses de salaire. Les progrès de l’intelligence artificielle constituent une source de malaise supplémentaire, alimentant la crainte du “remplacement”. Dans quelle mesure cette peur se justifie-t-elle ? Décryptage.
Journée printanière, en juin, devant les studios d’Hollywood. Mais l’esprit "Happy End" n’est pas d’actualité. Pancarte à la main, une petite foule d’acteurs est venue manifester.
Abordée par les correspondants de France 24 sur place, une scénariste tente de faire contre mauvaise fortune bon cœur. "C’est nous qui avons imaginé Terminator, nous sommes bien placés pour savoir que cela va arriver, tôt ou tard."
Dans le mythique quartier de Los Angeles, des robots ne vont certes pas entrer en guerre contre l’humanité, comme la dystopie imaginée en 1984 par James Cameron. Mais les progrès de l’intelligence artificielle aggravent les tensions intra-hollywoodiennes.
Tensions à Hollywood
Depuis trois mois, pas moins de 11 500 scénaristes sont en grève, selon des estimations mentionnées par Reuters. Résultat : outre des annulations de programmes, le mouvement a perturbé la majeure partie de la production de la saison télévisuelle d'automne et a interrompu des films à gros budget.
En juillet, les acteurs sont venus grossir les rangs des grévistes. Principales revendications qui les unissent aux scénaristes : une augmentation des salaires et une limitation du recours à l’intelligence artificielle dans la profession.
Celle-ci est perçue comme une menace. "Je crains qu'ils ne délèguent de plus en plus de choses à l'intelligence artificielle (...) et qu'il y ait un méchant qui ne perfectionne cette technologie et se débarrasse des scénaristes pour de bon", s'alarme une manifestante.
"Le danger qui guette ces acteurs et scénaristes est bien réel" commente, de l’autre côté de l’Atlantique, Fabrice Epelboin, professeur à Sciences Po.
"Grand remplacement" technologique
Selon ce spécialiste des questions numériques, nous sommes "très proches" du jour où pourront être réalisés des long-métrages, documentaires et autres créations audiovisuelles, sans caméra ni acteurs.
C’est un véritable "grand remplacement" qui guette ces derniers, poursuit-il. Et le virage aurait déjà été initié, eu égard au succès du récent film Avatar 2, mêlant des images tournées en prises de vue réelles à celles conçues par ordinateur.
Les visuels "artificiels" ont déjà envahi le cinéma. Ils cohabitent souvent avec les prises de vue authentiques, notamment pour représenter des foules. Avec la trilogie du Seigneur des Anneaux, la technique était maîtrisée dès 2001.
Seul frein à l'avènement d’acteurs artificiels, selon Fabrice Epelboin : la promotion d’un film par des stars, essentielle à l’industrie cinématographique. Dit autrement, Netflix n’aurait sans doute pas vendu 320 millions d’heures de visionnage du film "Don't Look Up", sans le sex-appeal d’un Leonardo DiCaprio, présentant le film sur les plateaux télévisés.
Pierre-Jean Benghozi, professeur à l’École polytechnique avoue d’ailleurs ne "pas trop croire" à l’avènement d’un cinéma sans acteurs. Pour ce chercheur au CNRS, des doublures synthétiques pourraient néanmoins "jouer" à la place des artistes : "demain, la question pour un producteur sera "pourquoi ne pas embaucher cet acteur quatre semaines plutôt que huit ?"
L’IA peut en effet générer l’avatar de n’importe quel acteur en utilisant la modélisation 3D et la reconnaissance faciale. Et cette prouesse était déjà réalisée en 2016. Dans le film "Rogue One : A Star Wars Story", l’acteur Peter Cushing, (assurément) décédé en 1994, était virtuellement ressuscité.
Illusion de créativité
Du côté des scénaristes, la menace que représente l'IA est moindre, selon les spécialistes. Car si ces technologies peuvent remplacer un acteur des pieds à la tête (ou sa voix-off), le scénariste peut trouver dans l’IA un allié qui augmenterait sa propre créativité.
L’écriture d’un scénario - quand bien même elle sera confiée à l’IA - ne saurait faire l’économie d’un humain, remarque aussi Fabrice Epelboin : un scénariste maîtrisant le métier demeure nécessaire pour orienter l’intelligence non humaine via les "prompts" (les ordres donnés à ChatGPT) adéquats.
Toutefois, "si certains scénaristes 's’augmentent' individuellement via le recours à la technologie, les gains de productivité seront si spectaculaires qu’il y aura mécaniquement moins d’emplois. Exactement comme la robotique a réduit le nombre d’emplois ouvriers dans des usines comme Tesla."
Même sur le plan de la création artistique, l’IA semble s’améliorer continuellement, avec toujours moins de supervision humaine. Une ébauche de série, Nothing, Forever, en grande imaginée par l’intelligence artificielle, a déjà été diffusée sur la plate-forme Twitch au mois de février.
"Bourrés de clichés", les scénarios proposés par Chat GPT sont "bons à mettre à la poubelle", tranche un réalisateur rencontré par les correspondants de France 24 à Los Angeles. "Il n’y pas d’apport radicalement nouveau dans ce que produit l’IA", abonde Pierre-Jean Benghozi.
Comme l’expliquent d’autres experts, l’IA peut donner une illusion de nouveauté, quand elle ne fait en réalité que "recombiner" ce qui existe déjà dans les abysses de sa stupéfiante base de données (Chat-GPT3 est riche de 300 milliards de mots).
Insensibles robots
Or le public recherche justement à cette nouveauté, remarque Pierre-Jean Benghozi : les westerns ont ainsi connu un vif succès dans les 50, avant de s'exporter dans les étoiles dans les années 1970 via la science-fiction. "Et puis les gens en ont eu marre de voir des westerns" y compris leurs déclinaisons spatiales.
Il a fallu qu’une créativité humaine "pense en-dehors de la boîte" pour explorer de nouveaux thèmes cinématographiques, remarque cet amateur du septième art. Car seul l’humain peut apporter une dimension "exceptionnelle" à une œuvre artistique" poursuit le polytechnicien.
Cela vaut aussi pour les comédiens, selon lui. L’IA fera un pas conséquent le jour où les avatars ne singeront plus seulement l’humain, mais seront à même de transmettre des émotions nouvelles.
"Nous pourrions regarder cinquante présentations de Hamlet, sans que les émotions, ainsi que le sens qui nous transmis soient identiques. Et cette faculté demeure éminemment humaine". Du moins à ce jour.