La chute du président de la Chambre des représentants met en lumière l’influence de la frange la plus radicale du Parti républicains. Une période d’incertitude politique s’ouvre.
«Je suis entré dans l’Histoire, Hein ?» grinçait Kevin McCarthy, ivre d’amertume sous la coupole du Congrès, dans les minutes suivant sa destitution mardi 3 octobre. Pour la première fois depuis la fondation de la république américaine, un président de la Chambre des représentants s’est vu congédié par un vote en bonne et due forme de l’hémicycle, une procédure inédite depuis la tentative, ratée elle, d’éviction d’un autre «speaker» de la Chambre, en 1910. Le scrutin, par 208 voix démocrates, et surtout 8 voix républicaines tout aussi décisives, ouvre une nouvelle ère de chaos et d’incertitude pour le pouvoir législatif. Il confirme avant tout le piège dans lequel se débat toujours une fragile majorité républicaine à la Chambre, phagocytée, martyrisée depuis janvier par sa frange d’extrême droite pro Trump, irrémédiablement hostile à tout compromis avec le camp «woke et marxiste» de Joe Biden.
Kevin MacCarthy, élu speaker de la Chambre il y a tout juste neuf mois, a ainsi payé de son poste, et de sa carrière politique, la haine farouche que lui voue «le camp des démolisseurs», le fameux Freedom Caucus, un groupuscule d’une quarantaine de républicains du Sud officieusement dirigé par le sémillant Matt Gaetz, élu droitier de Floride et auteur de la motion de destitution.
«Un speaker incapable de tenir sa parole»
Le crime du président de la Chambre ? Avoir obtenu in extremis samedi soir, et grâce à un accord bâclé avec les démocrates, la reconduction provisoire, pour 45 jours, du financement vital de l’Etat américain que refusaient les élus d’extrême droite tant que leurs exigences délirantes (entre autres la reconstruction du mur de Donald Trump à la frontière mexicaine) ne seraient pas satisfaites. Dans les heures suivantes, Gaetz annonçait en représailles son intention d’obtenir la destitution du speaker, non sans rappeler ses précédentes trahisons, en particulier son appel au groupe républicain, fin mai, à voter pour le relèvement du plafond de la dette publique américaine, autre objet de chantage, sans lequel les Etats Unis s’exposaient au défaut de paiement et à un cataclysme économique. «Le chaos, ce n’est pas nous, plaidait pourtant Matt Gaetz mardi après-midi durant les derniers débats précédant le vote de la motion. C’est un président de la chambre, un speaker, qui est incapable de tenir sa parole».
En janvier, l’élection de McCarthy, représentant de Californie jusqu’alors chef de la minorité républicaine, au rang de speaker, avait pris quatre jours et nécessité… 15 tours de scrutin humiliants en raison des doutes d’une vingtaine d’ultras du parti envers sa sincérité idéologique. Comme souvent dans la mouvance de Trump, les considérations politiques habillent des bisbilles personnelles. Gaetz, comme l’a rappelé élégamment McCarthy peu après son éviction, ne pouvait lui pardonner d’avoir consenti en 2021 à une enquête du comité d’éthique de la chambre sur ses mœurs de playboy, porté, selon des allégations persistantes, sur les filles mineures de Floride, et sur ses multiples infractions aux financements de campagne.
Plus encore, le Freedom Caucus reprochait au candidat speaker de s’être violemment confronté à Donald Trump au téléphone pendant l’insurrection du 6 janvier 2020, et d’avoir, pendant 24 heures, semblé approuver l’impeachment de l’ancien président. Son revirement immédiat, lors d’une visite servile au patron toujours incontesté du parti dans son club de Mar A Lago, n’a fait ensuite que conforter le mépris des durs républicains pour son opportunisme. Comme ses quelques compromis avec Biden, aussi éphémères soient-ils, sur le plafond de la dette et les reconductions d’autorisations de dépenses publiques.
Son attrait principal, bien plus ses tactiques politiques, résidait dans son indéniable talent de leveur de fonds de campagne, source de gratitude des politiciens républicains traditionnels et de son ascension au Congrès, mais il a peu d’effet sur la frange trumpiste du Congrès. «C’est une créature du marais», assenait Gaetz dans les minutes suivant son éviction. «McCarthy a gagné du pouvoir en ramassant les fonds des intérêts particuliers avant de redistribuer cet argent en échange de faveurs».
Va pour les 40 membres du Freedom Caucus, et les huit républicains enragés qui ont fait basculer le destin du speaker. Aussi peu nombreux soient-ils au Congrès, ils représentent une mouvance toujours dominante à l’intérieur d’un nouveau parti insurrectionnel dévoué à l’idole.
Sans les démocrates, McCarthy ne serait pas évincé
Mais les regards se tournent aussi vers les démocrates et leur rôle dans la descente en flammes du président de la Chambre. 208 élus de ce parti ont voté contre le maintien de McCarthy, s’impliquant directement dans un litige interne qui ne devait concerner que les Républicains. Dans une lettre envoyée à ses troupes peu après un premier vote de procédure, Hakeem Jeffries, élu de l’Etat de New York et chef de la minorité à la Chambre, a appelé à un vote unitaire pour la destitution. Jeffries n’éprouvait aucune gratitude envers McCarthy pour l’accord budgétaire passé samedi soir. D’autant plus que Kevin McCarthy, revenu de ses frayeurs, entendait maintenant négocier le rétablissement de l’aide à l’Ukraine, suspendu dans l’accord, en échange du vote de mesures anti immigrés réclamés par l’extrême droite. Le speaker avait aussi cautionné la commission d’enquête républicaine sur le fils de Joe Biden, et lancé l’offensive pour l’impeachment bidon du président démocrate, trahi ses engagements avec la Maison Blanche sur le renouvellement des dépenses publiques et renié ses compromis au moindre cri du Freedom Caucus.
Un remplaçant provisoire a immédiatement été nommé dans une liste réglementaire, et jusqu’alors secrète, de successeurs établie par le speaker déchu lui-même. Le Républicain de Caroline du Nord Patrick McHenry, un proche de McCarthy, a, pour toute première décision symbolique, ordonné virilement à Nancy Pelosi, ancienne présidente démocrate de la Chambre honnie par Trump, de décamper dès mercredi du grand bureau qui lui avait été attribué en raison de ses hautes fonctions antérieures.
L’élection du vrai successeur du speaker promet une bataille rangée dans le camp républicain, et laisse craindre aussi le choix d’un idéologue plus dangereux que le très malléable McCarthy. Le psychodrame peut servir les démocrates pour les élections de l’automne 2024. Encore faudrait-il qu’il s’achève avant le 17 novembre de cette année, date d’échéance des 45 jours de l’accord passé samedi dernier pour assurer les crédits de la première puissance mondiale. Si ce n’est pas le cas, la guerre interne des républicains pourrait se solder par un désastre national.