Conflit israélo-palestinien : A quel point Israël se rapproche-t-il de son objectif à Gaza ?
Israël contre le Hamas : l’armée israélienne face aux multiples défis du sud de la bande de Gaza Alors que le cessez-le-feu avec le Hamas a pris fin vendredi, Israël relance ses opérations militaires. Mais les États-Unis mettent la pression sur l’armée israélienne pour qu’elle fasse preuve de retenue, notamment dans le sud de la bande de Gaza.
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Alors que le cessez-le-feu avec le Hamas a pris fin vendredi, Israël relance ses opérations militaires. Mais les États-Unis mettent la pression sur l’armée israélienne pour qu’elle fasse preuve de retenue, notamment dans le sud de la bande de Gaza.
Après sept jours sans affrontements, le retour des intenses bombardements aériens israéliens ? C’est l’un des scénarios les plus redoutés à Washington. Les États-Unis ont multiplié les contacts avec l'État hébreu depuis dimanche 26 novembre pour s’assurer que l’armée israélienne a bien "tiré les enseignements des opérations dans le nord [de la bande de Gaza, NDLR]", affirmait le Washington Post mercredi 29 novembre.
Le président américain Joe Biden aurait même précisé au téléphone au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ce qu’il entendait par là. Il lui aurait affirmé que "la façon dont Israël a agi dans le nord de Gaza – en menant une vaste offensive avec trois divisions blindées et d'infanterie – ne pouvait être répétée dans la partie sud de l'enclave", croit savoir le site d’information américain Axios, qui cite "plusieurs responsables de l’administration américaine" ayant préféré garder l’anonymat.
Préserver les populations civiles ?
"C’est une manière de dire qu’il faudra faire davantage attention aux éventuelles victimes civiles de l’opération militaire", décrypte Omri Brinner, analyste israélien et spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient à l’International Team for the Study of Security Verona (ITSS), un collectif international d’experts des questions de sécurité internationale.
Depuis le début des opérations militaires israéliennes, des centaines des milliers de Gazaouis ont fui le nord de l’enclave pour trouver refuge dans le sud, où résident désormais près de deux millions de personnes. Les États-Unis n’ont aucune envie de voir le décompte des victimes civiles palestiniennes – qui s’élèvent déjà à plus de 14 000 selon le Hamas – s’envoler à partir du moment où le cessez-le-feu actuel va prendre fin. "Washington ne veut pas apparaître comme le complice de telles actions", résume le Washington Post.
Cet appel à la retenue va-t-il être entendu en Israël, alors que le cessez-le-feu avec le Hamas risque d’expirer ce vendredi, après sept jours d'accalmie ? La rhétorique guerrière israélienne ne donne pas cette impression. "Lorsque nous reprendrons le combat, la puissance sera plus grande et s'étendra sur l'ensemble de la bande de Gaza", a au contraire promis Yoav Gallant, le ministre israélien de la Défense.
L'État hébreu a d’ailleurs "enjoint la population civile palestinienne sur place à se rendre dans une zone à l’ouest de l’enclave", note Omri Brinner. Une manière de préparer le terrain en vue d'une future campagne de bombardements aériens pour protéger l’avancée des troupes au sol ?
Mais ces appels aux civils de quitter les futurs lieux de combat ne peuvent avoir qu’un impact très limité. D’abord parce que le sud de la bande de Gaza est déjà trop petit pour les deux millions de Palestiniens qui y ont trouvé refuge. "Ils ne pourront, dès lors, certainement pas tous se réfugier dans une zone encore plus étroite", reconnaît Omri Brinner.
Ensuite parce que les combattants du Hamas "ont perfectionné l’art de se fondre dans la population civile et à l’utiliser comme bouclier contre les soldats israéliens", souligne Amnon Aran, spécialiste des conflits entre Israël et le monde arabe à la City University of London. "Ils vont tout faire pour les dissuader de partir", confirme Omri Brinner.
Demandes américaines incompatibles avec les objectifs israéliens
"On se rend compte maintenant qu’Israël a commis une erreur tactique majeure en choisissant d’avancer lentement mais surement du nord vers le sud, plutôt que d’attaquer simultanément au nord, au centre et au sud de la bande de Gaza", analyse Ahron Bregman, politologue et spécialiste du conflit israélo-palestinien au King’s College de Londres. En agissant ainsi, l’armée a "ironiquement contribué à renforcer le bouclier humain formé par la population civile autour du Hamas au sud, alors que c’est là que l’armée devrait leur infliger le plus de dégâts", remarque cet expert.
À ce contexte humanitaire déjà compliqué s’ajoute le fait que "les principales forces combattantes du Hamas se trouvent au sud", assure Amnon Aran. "Sur les 14 bataillons engagés dans la guerre contre Israël, dix sont basées dans cette région de l’enclave", précise-t-il.
Autrement dit, Israël n’avait pas besoin que les États-Unis viennent mettre des bâtons supplémentaires dans les chenilles de ses chars. D’autant plus que certaines exigences sont très spécifiques. Washington a ainsi appelé à la création de "zones de déconflit". Il s’agirait de bâtiments spécifiques – comme les installations de l’ONU, les hôpitaux ou les écoles – où les soldats israéliens ne pourraient pas ouvrir le feu, afin d’assurer la sécurité des populations civiles qui s’y trouvent.
Pourtant, "le Hamas est justement connu pour utiliser des bâtiments justement comme les hôpitaux ou les écoles pour y abriter des armes et des combattants. Je ne vois pas comment cette demande américaine serait compatible avec les objectifs militaires affichés d’Israël", s’interroge Veronika Poniscjakova, spécialiste des aspects militaires du conflit israélo-palestinien à l’université de Portsmouth, en Grande-Bretagne. Omri Brinner veut croire que "si les renseignements permettent d’établir sans l’ombre d’un doute que le Hamas se cache dans tel ou tel bâtiment, les Américains devraient laisser faire".
Les États-Unis ont aussi appelé Israël à "utiliser des munitions de plus petites tailles et plus précises", note le Washington Post. Autrement dit, l’armée israélienne devrait s’abstenir de lâcher des charges explosives de grandes tailles comme c’était le cas dans le nord.
Une impossible victoire israélienne ?
Le but est non seulement louable – éviter au maximum les victimes civiles collatérales –, il rejoint aussi une préoccupation majeure de Washington : empêcher un bombardement faisant trop de morts civiles, ce qui pourrait avoir de graves répercussions géopolitiques. "La densité de population sera telle que les possibilités d’une erreur de calcul lors d’un bombardement seront démultipliées. Ce qui augmente aussi le risque d’avoir un incident majeur susceptible d’embraser la région, forçant les États-Unis à intervenir militairement", résume Amnon Aran.
Politiquement cependant, le gouvernement israélien peut difficilement faire preuve de beaucoup de retenue dans sa campagne aérienne. Pour une partie de l’opinion israélienne, "cela reviendrait à placer la sécurité des civils palestiniens au-dessus de celle des soldats israéliens [qui ont besoin de soutien aérien pour assurer la sécurité de leur avancée, NDLR]", souligne Omri Brinner. Ce n’est pas le genre de message que Benjamin Netanyahu veut faire passer.
Mais Israël peut-il défier les avertissements américains ? Si l'État hébreu se met Washington à dos, "il risque de perdre son principal soutien au conseil de sécurité de l’ONU, et les Américains pourraient se mettre à repenser leur politique de livraison d’armes à Israël", résume Veronika Poniscjakova.
En raison de l’élection présidentielle qui se profile aux États-Unis, les dirigeants israéliens vont devoir faire attention "aux répercussions de ce qui se passe à Gaza sur la campagne américaine", assure Amnon Aran. Joe Biden risque d’être beaucoup moins patient avec Benjamin Netanyahu si le modus operandi de l’armée israélienne le fait passer pour un complice de ce qu’une partie de l’électorat américain pourrait percevoir comme des exactions contre les civils palestiniens.
Dans ce contexte, difficile d’imaginer qu’Israël pourra atteindre son but militaire affiché dans la bande de Gaza, à savoir l’éradication du Hamas et de ses capacités militaires. "L’armée israélienne peut amoindrir [les] capacités militaires, détruire quelques usines de fabrication d’armes et des tunnels, mais sûrement pas rayer le Hamas de la carte définitivement", assure Ahron Bregman.
Pour ce spécialiste, "à un moment donné, Benjamin Netanyahu va sûrement dire qu’Israël a gagné, mais ce sera une déclaration vide de sens." En attendant, "le Hamas a déjà gagné une victoire une première fois le 7 octobre en frappant Israël, et une deuxième fois en obtenant la libération de prisonniers, ce qui leur vaut une certaine admiration de la part de tous les Palestiniens”, conclut Ahron Bregman.