Les Etats-Unis sont isolés dans leur soutien inconditionnel à Israël
Courrier international) : Les États-Unis ont opposé leur veto vendredi à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu humanitaire immédiat dans le conflit entre Israël et le Hamas.
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L’administration Biden apporte un soutien sans faille à Israël depuis le début de la guerre avec le Hamas, auteur des attaques terroristes du 7 octobre. Mais Washington semble infléchir sa position ces derniers jours, à l’image du secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui a critiqué jeudi l’État hébreu au sujet de la protection des civils à Gaza. Une position qui peut s'expliquer par une "frustration" de Washington.
Le soutien "solide et inébranlable" de l’administration Biden à Israël serait-il en train de vaciller ? Le président américain avait assuré l’État hébreu de son appui dès le 7 octobre, jour de l’attaque du Hamas qui a fait 1 200 morts sur le sol israélien, selon les autorités. Depuis, deux mois ont passé et l'intervention de l’armée israélienne à Gaza – qui a fait plus de 17 000 morts, selon le dernier bilan du ministère de la Santé du Hamas – a entraîné un changement de ton à Washington ces derniers jours.
Cela a d’abord commencé le 2 décembre, quand la vice-présidente américaine Kamala Harris a déclaré lors d’un discours à la COP28 que "trop de Palestiniens innocents ont été tués. (...) Israël doit en faire plus pour protéger les civils innocents." Trois jours plus tard, le porte-parole du département d’État américain affirmait que les États-Unis "continueront à surveiller ce qu'il se passe et à faire pression pour qu'ils (les Israéliens, NDLR) fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour minimiser les dommages causés aux civils."
Cet appel en faveur des civils à Gaza a franchi un nouveau palier, jeudi 7 décembre, quand Joe Biden "a insisté sur la nécessité absolue de protéger les civils et de séparer la population civile du Hamas", selon un communiqué de la Maison Blanche. Le même jour, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a affirmé lors d’une conférence de presse à Washington : "Il reste un écart entre (...) l'intention de protéger les civils et les résultats concrets que nous constatons sur le terrain", formulant l'une des critiques les plus explicites de l'administration Biden à l’encontre d’Israël de ces deux derniers mois.
Ce changement de ton de la part des plus hauts responsables américains s'explique par "un début de frustration", selon Jean-Loup Samaan, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et au Middle East Institute de l’université de Singapour : "Ils ont l'impression que leurs demandes – formulées jusque-là sans que ce soit public – n'ont pas été écoutées, notamment en ce qui concerne la protection des civils dans le sud de Gaza".
"Répondre aux pressions américaines"
Le spécialiste des pays du Golfe voit aussi dans ces expressions publiques "la volonté de mettre davantage de pression par des déclarations qui font un peu plus état des désaccords" avec Israël.
L’inquiétude de l’administration américaine quant à la conduite d’opérations militaires meurtrières pour les civils de Gaza n’est pas nouvelle. Cette question avait déjà été mise en lumière avec la démission, mi-octobre, du directeur du bureau militaire du département d'État – qui est notamment chargé du transfert d'armes américaines à l'État hébreu. Josh Paul avait alors justifié son départ dans une lettre publiée sur le réseau social Linkedin "en raison d'un désaccord politique concernant la poursuite de notre assistance létale à Israël".
Ce même département d’État est aussi divisé en interne : "Des dizaines d’employés ont signé des mémos internes" pour exprimer à Antony Blinken leur "sérieux désaccord avec l’approche de l'administration Biden" sur la campagne militaire d'Israël à Gaza, a rapporté mi-novembre le New York Times.
Au-delà de ce désaccord sur la question des civils palestiniens, les États-Unis entendent aussi infléchir la position d’Israël sur l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza. Joe Biden a d’ailleurs insisté jeudi auprès du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu sur le fait qu’"une aide beaucoup plus importante devait être autorisée", selon la Maison Blanche.
Seuls 69 camions transportant des fournitures humanitaires et 61 000 litres de carburant sont entrés à Gaza depuis l'Égypte pour la journée du 7 décembre, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. Un chiffre bien inférieur à la moyenne quotidienne – 170 camions et 110 000 litres de carburant – observée durant la pause humanitaire du 24 au 30 novembre, ainsi qu’à la moyenne de 500 camions qui pouvaient entrer chaque jour dans l’enclave palestinienne avant le 7 octobre.
La demande américaine n’est pas restée longtemps lettre morte : un haut responsable israélien a annoncé jeudi que l’État hébreu allait ouvrir dans les prochains jours le passage de Kerem Shalom. Ce point de passage, fermé depuis le 7 octobre, doit permettre d'augmenter le nombre de camions pouvant entrer dans la bande de Gaza. "Cette annonce est une manière pour Israël de répondre aux pressions américaines", note Jean-Loup Samaan.
"Première fois que les Américains annoncent une temporalité pour cette guerre"
Un désaccord plus profond sous-tend les relations États-Unis-Israël : "Le sujet central, c’est la solution politique apportée à ce conflit", explique le spécialiste des pays du Golfe. "Depuis le début, les Américains poussent le gouvernement israélien à donner un horizon politique à la guerre."
Washington défend une solution à deux États. "La meilleure voie, peut-être même la seule", affirmait encore début novembre Antony Blinken. Mais Benjamin Netanyahu reste fermement opposé à toute forme d’État palestinien.
Les États-Unis se disent aussi favorables à un retour de l’Autorité palestinienne dans la gestion de la bande de Gaza à la fin de la guerre. Celle-ci a affirmé "travailler à l’après-guerre" avec l’administration Biden alors que de leur côté, les responsables politiques israéliens rejettent cette idée.
Ces désaccords politiques "augmentent la nervosité" de Washington, résume Jean-Loup Samaan.
Lors de sa visite au Proche-Orient la semaine dernière, Antony Blinken a exposé aux membres du cabinet de guerre israélien la position de l’administration Biden, à savoir que la guerre "devrait prendre fin dans quelques semaines et non dans quelques mois", a rapporté jeudi le Wall Street Journal.
"C’est une façon de préparer l’opinion publique américaine en train de basculer de façon négative sur le soutien à l’effort de guerre israélien", reprend le chercheur. "C’est aussi un message adressé à Israël. C’est la première fois que les Américains annoncent une temporalité pour cette guerre, et c’est une façon pour Joe Biden de dire que son soutien au gouvernement Netanyahu va avoir une limite dans le temps, au début de l’année 2024 – même s’il peut encore se passer beaucoup de choses en un mois de guerre."
De son côté, le Premier ministre israélien a esquissé un horizon plus flou quand il a affirmé le 2 décembre que l’armée israélienne continuerait la guerre "jusqu'à ce que tous ses objectifs soient atteints". Un différent qui ne remet pas pour autant en cause le soutien américain. Le plus grand financeur d'Israël – 260 milliards de dollars estimés par le Congrès américain entre 1946 et 2023, dont plus de la moitié en aide militaire – s’en tient pour l’instant à des discours publics de désaccord.
"La pression la plus concrète serait de ne pas livrer prochainement des munitions en Israël, ce qui poserait un vrai problème notamment pour les opérations aériennes israéliennes. Mais on n’en est pas là", conclut Jean-Loup Samaan. "Le soutien américain reste très fort et ne va pas s’arrêter après cette guerre."