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Des dizaines de Palestiniens ont été tués dans le bombardement du camp de réfugiés de Jabaliya, dans la bande de Gaza, une frappe que l'armée israélienne a confirmée, indiquant qu'elle ciblait un des responsables de l'attaque du 7 octobre. La guerre a déjà fait des milliers de morts et menace d'embraser toute la région. Voici le fil du 31 octobre 2023.
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Imane Maarifi, infirmière, et Raphaël Pitti, médecin anesthésiste-réanimateur, sont rentrés mardi 6 février d'une mission de deux semaines à l'hôpital européen de Khan Younès, ville du sud de la bande de Gaza. Pour France 24, ils racontent le quotidien de l'établissement transformé en camp de déplacés, surpeuplé, et où une règle s'impose : "Faire l'économie de tout". Un symbole de la catastrophe humanitaire en cours dans l'ensemble de l'enclave palestinienne.
C'est un désastre humanitaire", "le chaos le plus total". Pendant seize jours éprouvants, Imane Maarifi, une infirmière de 37 ans, et Raphaël Pitti, anesthésiste-réanimateur, accompagnés de cinq autres médecins français en coordination avec l'association PalMed Europe, se sont rendus dans la bande de Gaza pour prêter main-forte au personnel de l'hôpital européen, situé à quelques kilomètres de Khan Younès.
Dès les premiers jours de la guerre, des milliers de Gazaouis avaient rejoint cette ville du sud de l'enclave pour fuir les combats au nord. Depuis plusieurs semaines, elle est cependant devenue le centre des affrontements entre l'armée israélienne et le Hamas, et les bombardements y sont quotidiens, laissant de nombreux déplacés livrés à eux-mêmes.
"La population vit dans une espèce de nasse, et dans des conditions extrêmement difficiles. Les gens dorment sur les trottoirs, sous des abris de fortune. Les rues sont très sales et il a plu ces derniers temps donc il y a de l'eau stagnante partout", relate sur le plateau de France 24 Raphaël Pitti, dans un témoignage rare — les informations venant de Gaza sont sporadiques en raison du "blocus informationnel" imposé par Israël.
Chaque jour, des dizaines de personnes affluent ainsi vers l'hôpital européen dans l'espoir, pour certains, blessés, d'être soignés, pour d'autres, de simplement trouver un refuge. Au total, selon les chiffres avancés par les deux soignants, 25 000 personnes vivraient actuellement autour de l'établissement et près de 6 000 à l'intérieur.
"C'est devenu un lieu de vie où la population manque de tout", résume Imane Maarifi. "Il m'est arrivé de devoir réanimer un patient au sol, dans un couloir, et de voir en même temps des enfants me voler des gants dans ma poche pour en faire des ballons de baudruche", raconte-t-elle, émue.
"Des choix déchirants"
Dans ces couloirs surpeuplés, le personnel médical et les volontaires tentent toujours, tant bien que mal, de continuer à apporter les soins nécessaires aux malades et blessés. L'établissement est l'un des derniers encore en capacité de fonctionner dans la région.
"En termes humains, nous étions nombreux. Beaucoup de volontaires font le travail des aides-soignants, des infirmières font le travail des médecins, et des médecins font celui des chirurgiens", décrit l'infirmière. "Tous travaillent même sur leurs jours de repos. Cela leur permet de passer le temps, d'avoir un repas et de pouvoir être avec leurs collègues. Je n'en ai rencontré aucun qui n'était pas en deuil et être là, et aider, leur permet aussi de ne pas être seuls dans leur peine."
Face à l'afflux de patients, l'humanitaire déplore un manque cruel de matériel. "Il n'y a pas de draps, pas de champs de soins stériles ou de compresses. Nous avions très peu de morphiniques", explique-t-elle. "Donc il fallait faire des choix, sélectionner quels patients allaient avoir de la morphine par exemple. Nous devions faire l'économie de tout." L'humanitaire se souvient ainsi avoir dû choisir qui soulager en priorité entre un "enfant qui avait reçu un éclat d'obus" et un autre "à la jambe arrachée" — "des choix déchirants", témoigne-t-elle, la voix étranglée.
Aux blessés viennent aussi s'ajouter les nombreux malades souffrant de pathologies chroniques, de problèmes respiratoires ou de maladies liées aux mauvaises conditions de vie. "Mon dernier patient, un bébé de 48 heures, est mort d'hypothermie dans mes bras", poursuit Imane Maarifi. "Et nous ne pouvons plus faire de dialyse ou de chimiothérapie. Tous les patients qui avaient besoin de traitements vont mourir ou meurent", insiste-t-elle, racontant le cas d'une patiente diabétique de 24 ans. Enceinte de sept mois, celle-ci a développé des complications en raison de la pénurie d’insuline. Elle a perdu son bébé et est morte le lendemain par manque de suivi.
"Tout le sud de Gaza est surpeuplé"
"Nous allons vers un effondrement de la santé publique à Gaza", dénonce ainsi Lucile Marbeau, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui travaille en partenariat avec le Croissant-Rouge égyptien – chargé de coordonner l’aide internationale destinée à Gaza qui transite par l’Égypte — et son homologue palestinien, qui gère des services ambulanciers et médicaux dans l’enclave. "Les blessés par la guerre doivent être amputés à la chaîne, les malades chroniques ne peuvent plus recevoir leur traitement et les conditions de vie laissent craindre une résurgence de maladies comme la polio, le choléra ou la varicelle, qu'on ne pourra pas soigner."
Au-delà de Khan Younès et des abords de l'hôpital européen, c'est "tout le sud de la bande de Gaza qui est aujourd'hui surpeuplé", insiste-t-elle. "À Rafah, où les déplacés continuent d'arriver, c'est à peine si la population peut encore trouver un espace pour s'installer."
À mesure que la guerre s'étend dans l'enclave, toujours plus de Palestiniens tentent de rejoindre Rafah, près de la frontière avec l’Égypte. La ville, qui dénombrait environ 270 000 habitants au début de la guerre, a vu sa population multipliée par six. Elle abrite aujourd’hui plus de 1,3 million de Gazaouis et ressemble, comme Khan Younès, à un gigantesque camp de déplacés à ciel ouvert, où les gens s'entassent dans des tentes et abris improvisés.
Outre "des conditions d'hygiène déplorables — les usines de traitement des eaux usées ne fonctionnent plus, privant la population de toilettes, l'accès à l'eau potable est très difficile et les gens ne mangent pas à leur faim car les prix des quelques denrées disponibles ont bondi", poursuit Lucile Marbeau.
Pour faire face, "c'est de la débrouille totale", assure Raphaël Pitti. "On voit apparaître plein de petits métiers de services : le cordonnier répare les chaussures, certains s'occupent de recoudre les vêtements, d'autres arrivent à recharger les téléphones ou remplir des briquets à usage unique pour avoir l'argent nécessaire pour acheter un peu d'eau et de nourriture."
Une aide humanitaire au compte-goutte
Le 22 décembre, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une résolution appelant "toute les parties prenantes du conflit" à faciliter "l'aide humanitaire dans le territoire palestinien". Mais plus d'un mois après, toutes les ONG humanitaires dressent le même constat : "Ce qui rentre n'est pas du tout suffisant par rapport aux immenses besoins de la population. C'est une goutte d'eau dans l'océan", dénonce Lucile Marbeau. Outre les besoins alimentaires, cette dernière déplore aussi l'absence de fourniture de matériel spécifique, pour effectuer, par exemple, des travaux de plomberie pour améliorer l'accès à l'eau potable.
La résolution onusienne réclame par ailleurs un acheminement "sûr et sans entrave" de l’aide ainsi que la "protection du personnel humanitaire et (...) sa liberté de circulation". Mais là encore, cela ne semble pas avoir été suivi d'effet. "L’accès au nord de Gaza est toujours impossible à cause des conditions sécuritaires", insiste Lucile Marbeau, rappelant que son équipe n'a pas pu se rendre dans cette partie de l'enclave depuis début novembre. "C'est aujourd'hui la zone la plus démunie et nous ne pouvons pas venir en aide à de nombreuses personnes vulnérables."
Dans ce contexte, la perspective d'une offensive terrestre prochaine à Rafah, annoncée par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, suscite une vive inquiétude. "Dans une zone aussi densément peuplée, une telle opération militaire aurait des conséquences dramatiques pour la population civile", alerte la porte-parole de la Croix-Rouge. D’autant que Rafah est également le point d’entrée de la précieuse aide humanitaire depuis l’Égypte.
"Aujourd'hui, accomplir nos missions sur le terrain est impossible", termine Lucile Marbeau. "Il faut à tout prix parvenir à un meilleur respect du droit humanitaire de la part des différents acteurs de ce conflit pour épargner les civils."