Cameroun : Macron en Afrique pour contrer la présence russe
Emmanuel Macron, le président français s'est rendu lundi soir au Cameroun pour débuter sa première tournée africaine.
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Emmanuel Macron est arrivé lundi soir au Cameroun, avant de se rendre au Bénin puis en Guinée-Bissau jusqu’au 28 juillet, pour son premier déplacement africain de son second mandat. Une visite dont le but est notamment de repositionner la France en Afrique centrale face aux ambitions russes et de promouvoir l’initiative Food and Agriculture Resilience Mission (FARM), lancée en mars dernier, pour renforcer la résilience alimentaire et favoriser l’investissement dans l’agriculture africaine.
Fini les bravades à l'égard de l’aîné Paul Biya, 89 ans dont quarante passés au pouvoir. Emmanuel Macron, 44 ans, s'était targué en 2020 de « mettre la pression » sur le président camerounais pour qu’il libère, lors de son septième mandat, ses opposants et règle la crise anglophone à l’Ouest de son pays.
Deux ans plus tard, le chef de l’Etat français devrait aborder, selon l’Elysée, les questions de l’Etat de droit et des libertés individuelles « sans injonctions médiatiques » lors du premier déplacement africain de son second mandat. Le Cameroun n’est pas devenu une démocratie entre-temps mais les autocraties d’Afrique centrale semblent revenir en grâce au nom des intérêts stratégiques, peu importe si les photos avec les dirigeants cacochymes ont du mal à passer auprès de l’opinion publique.
Paul Biya, politicien madré, ne devrait pas bouder son plaisir après avoir pris acte, lors du premier mandat, du désintérêt de son homologue français pour son pays et l’Afrique centrale, région non visitée à l’exception du Tchad, engagé dans la lutte antiterroriste au Sahel.
Priorité politique. L’offensive russe en Afrique n’est pas pour rien dans ce revirement stratégique. « Emmanuel Macron va marquer la Russie à la culotte, confie un diplomate français. L’Elysée a pensé au début qu’en plantant son drapeau au Sahel, la présence de la puissance militaire française allait de soi en Afrique. Aujourd’hui, on brûle des drapeaux français et le Kremlin tisse sa toile avec 26 accords de défense passés avec les pays du continent, soit presque la moitié. »
Officiellement, Paris n’a rien à redire au partenariat russo-africain, tant qu’il s’agit d’une relation d’Etat à Etat, mais souhaite réaffirmer « une priorité politique » en Afrique. « Le sujet qui inquiète est la présence de Wagner avec des recherches d’implantations supplémentaires. Sous couvert de lutte contre les groupes armés ou contre des groupes terroristes, cette installation conduit tout d’abord à une exacerbation de la violence sur le terrain et vise souvent les populations Peuls », confie une source élyséenne. Paris reproche au groupe dirigé par Evgueni Prigojine d'être un faux nez du Kremlin et de contribuer à une prolongation indéfinie de certains régimes au pouvoir. Une accusation dont les présidents français ont eux-mêmes longtemps souffert et souffrent encore.
Lors de son entretien avec Paul Biya, Emmanuel Macron devrait aborder les crises régionales, la lutte antiterroriste au nord Cameroun. Il devrait expliquer la réarticulation du dispositif militaire français pour faire face à l’expansion de la menace djihadiste vers le Golfe de Guinée. « Les deux présidents discuteront également de l’agression russe contre l’Ukraine et de ses conséquences sur le reste du monde, en particulier sur le plan de la sécurité alimentaire », précise une source élyséenne.
Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, aura un entretien avec le ministre camerounais délégué à la Défense, Joseph Beti Assomo, avec au menu l’intensification de la coopération militaire, notamment dans la lutte contre Boko Haram au nord Cameroun. Ce dernier, à qui l’on prête une proximité avec les sécurocrates russes, a effectué une visite remarquée à Moscou le 12 avril dernier, en pleine offensive en Ukraine. Il a signé avec son homologue, Sergueï Choïgou, un nouvel accord en matière de politique de défense et de sécurité.
«Il faut rassurer Yaoundé sur la pérennité de notre partenariat alors que le Kremlin mise sur le ministre camerounais délégué à la Défense et les jeunes officiers pour étendre son influence»
Centre d'écoute. Les deux pays ont ensuite laissé fuiter le document de treize pages, sans en divulguer les annexes. Le Kremlin prévoit d’inviter des observateurs camerounais à ses exercices militaires, compte exploiter les bases de son partenaire pour l’escale de navires et d’aéronefs, envoyer des soldats pour des opérations conjointes, développer la formation et les consultations entre experts. « Les Russes ont une très grande ambassade à Yaoundé, assure une source israélienne. Selon nos informations, il s’agit d’un centre régional de communication et d'écoute pour des actions sécuritaires. »
Déjà présents au Mali, en Centrafrique et au Soudan, les Russes seraient donc en embuscade. « Ils ciblent le Cameroun, un carrefour stratégique avec un accès au Golfe de Guinée et sur l’hinterland, poursuit le diplomate français. L’Elysée essaie de comprendre ce qui se passe entre les différents clans qui s’affrontent dans l’optique de la succession au pouvoir alors que Paul Biya n’a pas préparé de dauphin. Il faut surtout rassurer Yaoundé sur la pérennité de notre partenariat alors que le Kremlin mise sur le ministre camerounais délégué à la Défense et les jeunes officiers pour étendre son influence. La Russie forme entre 100 et 150 officiers et sous-officiers par an dans ses écoles de guerre. On doit intensifier notre coopération militaire si on ne veut pas que Yaoundé bascule dans l’orbite russe. »
Vladimir Poutine cherche actuellement à rétablir une présence géopolitique à moindre coût dans l’ancien pré carré français. Sur le terrain, la Russie et ses officines draguent la société civile et les médias dans une logique de guerre informationnelle contre la France qui s’inquiète de l’essor de cette influence régionale.
Le déplacement élyséen intervient au moment où le ministre des Affaires étrangères de Russie, Sergueï Lavrov, a posé ses valises à Oyo, au Congo-Brazzaville
Coïncidence suspecte des agendas, le déplacement élyséen intervient au moment où le ministre des Affaires étrangères de Russie, Sergueï Lavrov, a posé ses valises à Oyo, au Congo-Brazzaville, pour s’entretenir avec le président Denis Sassou N’Guesso. Il se rend ensuite à Kampala pour rencontrer le président ougandais, Yoweri Museveni, puis à Addis-Abeba, où il verra le Premier ministre, Abiy Ahmed. Le diplomate russe ne manquera de promouvoir sa vision de la crise ukrainienne, de rassurer sur la fourniture de céréales et de discuter des projets bilatéraux dans les domaines militaires et miniers.
Travail mémoriel. Pour Emmanuel Macron, ce déplacement au Cameroun est particulièrement sensible, à l’image de celui de son homologue américain dernièrement en Arabie saoudite. Les Occidentaux tentent actuellement de conserver à bord leurs alliés traditionnels de plus en plus séduits par les sirènes chinoises, russes ou encore turques.
Ex-pays du pré carré français, le Cameroun a longtemps été choyé par les décideurs français, notamment par Charles Pasqua et ses réseaux corses qui y avaient leurs entrées. Voulant tourner le dos à la Françafrique, les derniers dirigeants français y ont marqué un relatif désintérêt.
Comme en Algérie, la décolonisation y a été violente et la relation oscille entre amour et haine entretenue par nombre d’intellectuels. Pour tenter de vider le prurit mémoriel, Emmanuel Macron a confié en 2021 au théoricien du post-colonialisme, le Camerounais Achille Mbembe, le soin de réfléchir à la refondation des relations avec la France et l’Europe. Le chef de l’Etat pourrait, lors de ce déplacement, effectuer de nouveaux gestes pour honorer la mémoire de combattants de l’indépendance comme Ruben Um Nyobè, exécuté par l’armée française en 1958, ou encore Félix Roland Moumié, empoisonné par les agents du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE, ex DGSE) en 1960.
« Il faut que le président ait des paroles apaisantes, conclut le diplomate français. La France a dirigé une guerre contre-insurrectionnelle sanglante contre les indépendantistes camerounais quand Pierre Messmer administrait, en tant que Haut-commissaire, la région. Il faut, à l’image du Rwanda, engager un important travail mémoriel afin de refonder nos relations alors que les blessures de la période coloniale sont encore vivaces au sein de la diaspora camerounaise. »