Les Belges se ruent en France pour faire leurs courses
Les frontaliers avaient déjà coutume de faire un saut en France pour profiter des prix plus avantageux sur certains produits de base. Mais depuis que le bouclier tarifaire crée une nette différence entre les deux pays, les consommateurs belges sont nombreux à venir faire le plein de vivres dans l’Hexagone, a constaté ce journal flamand.
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La France, pays discount pour les Belges ? Avec une inflation plus importante que dans l’Hexagone (9,4 % vs 6,8 % sur un an en août), et une ristourne à la pompe de 30 centimes accordée par Paris, certains Belges n’hésitent pas à venir remplir leurs chariots de ce côté de la frontière.
C’est en tout cas ce que rapportent nos confrères du quotidien belge Dernière Heure, dans son édition du 3 septembre. En une du journal : «Nous avons testé le même Caddie ! 500 euros en Belgique, 300 euros en France.» Soit un écart de 200 euros, représentant un ticket de caisse 66 % plus cher en Belgique qu’en France.
Problème de méthodologie
Premier problème : ce titre est en réalité tiré de la citation d’une cliente figurant dans l’article, et non pas du propre test de la rédaction. Celui réalisé par le journaliste aboutit, lui, à un écart de 54 %. Conséquent, mais différent du 66 % lié à l’exemple présenté en Une. En effet, sa note, sur un total de 42 produits, est de 251,97 euros en Belgique contre 163,20 euros en France, soit une différence de 88,77 euros.
La méthodologie utilisée, ensuite, pose question. Le journaliste, tout d’abord, explique s’être basé sur sa propre liste de courses, qui comporte plusieurs produits de marque. «On a pris des marques assez connues comme Coca-Cola, comme Kleenex parce qu’on sait qu’on peut comparer et que c’est disponible chez nous. C’est pour pouvoir avoir une base de test vérifiable», indique-t-il à CheckNews. Et quand le journaliste ne trouvait pas les mêmes contenances dans les deux pays, il a décidé de ramener le prix au litre.
Sauf que ne pas utiliser les mêmes conditionnements peut fausser les résultats. «Vous êtes obligés de prendre des produits de la même gamme et au même conditionnement, précise Grégory Canet, de l’Observatoire de la consommation d’UFC-Que Choisir. On ne compare pas un paquet de 250 g avec un paquet de 100 g.»
«Démonstration périlleuse»
Surtout, la Dernière Heure a choisi d’aller dans l’hypermarché Auchan à Louvroil (16 000 m² de superficie), près de Maubeuge, en France, mais au sein de l’hypermarché Carrefour à Auderghem (9 100 m² de surface de vente), dans la banlieue de Bruxelles, en Belgique. Pourquoi ne pas avoir choisi la même enseigne et la même superficie ? «L’objectif, c’est que si on part dans le but de faire des économies, on part aussi dans un magasin qui est censé être moins cher, explique le journaliste belge. Or on sait qu’Auchan a des prix bas. On sait que forcément si on veut des économies, on ne va pas aller dans le magasin le plus cher de la région de Maubeuge. Ce sont des magasins connus pour être moins chers. D’instinct, les Belges vont plus vers Auchan ou Leclerc que vers Carrefour.»
Certes, mais dans un exercice de comparaison ‘‘toutes choses égales par ailleurs’', «il faut vraiment retenir deux magasins de positionnement et de tailles comparables, selon Grégory Caret. Entre un magasin de banlieue de Bruxelles et un hypermarché du Nord il y a de grandes différences de prix nécessairement». Autrement dit, «la démonstration semble périlleuse».
«La Belgique est devenue un pays cher»
Pour ce type d’exercice, le magazine UFC-Que choisir suit une méthodologie plus précise. «On constitue un panier moyen représentatif de la population, explique Grégory Canet. Avec un panier qui correspond à un couple jeune sans enfant, un panier qui correspond aux achats d’une famille avec enfants et un panier senior, ce qui permet de construire des indices de prix.» Et avec des produits identiques, pour les grandes marques comme pour les marques de distributeurs.
«Il faut un nombre de produits suffisant. On ne se base pas sur une quinzaine de produits. Quand on fait un relevé de prix, il y a plus d’une centaine de produits qui composent le panier, afin d’éviter qu’il y ait un chiffre aberrant qui amène à tirer des conclusions un peu hâtives», poursuit Grégory Canet.
En effet, les écarts de prix peuvent être importants en fonction des articles choisis : «Il y a des produits sur lesquels les écarts sont énormes, notamment sur les boissons alcoolisées. Si vous mettez beaucoup d’alcools, vous allez atteindre les 30 ou 40 % d’écart», explique Pierre-Alexandre Billiet, économiste belge spécialiste du commerce et de la consommation.
S’il est donc difficile, en raison de sa méthodologie, de s’appuyer sur le test réalisé par la DH pour établir un écart de prix entre les deux pays, Billiet reconnaît néanmoins que «la Belgique est devenue un pays cher, et [que] beaucoup de Belges commencent à aller acheter en France».
«Coûts d’exploitation»
Les raisons à ces écarts de prix ? Il y a d’abord une dimension géographique : «Comme la Belgique est un pays plus petit, les distributeurs achètent en moins grande quantité, et on a donc accès à des prix moins intéressants dans les supermarchés», relate Pierre-Alexandre Billiet. Autre point, lié à la complexité politique du pays : «Le coût d’exploitation d’un supermarché est plus élevé en Belgique qu’en France : les étiquettes doivent être rédigées en trois langues (français, allemand et néerlandais), et les taxes sont d’ordre à la fois régionales, communales, provinciales et fédérales.»
L’inflation, enfin, et comme évoqué plus haut, a été moins importante en France par rapport à de nombreux autres pays européens : la hausse des prix à la consommation est ainsi chiffrée, en août et sur un an, à 6,8 % en France contre 9,4 % en Belgique, selon l’Indice des prix à la consommation harmonisé européen. «Cette moindre hausse en France est notamment liée à une progression moins forte de l’énergie (en lien avec les boucliers énergétiques mis en place par les pouvoirs publics en France) et de l’alimentation, indique Sébastien Faivre, chef de la division des prix à la consommation à l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). S’agissant de l’alimentation, la loi Egalim, qui encadre les relations entre les industries agroalimentaires et la grande distribution avec des négociations annuelles conclues en mars, a contribué à modérer la hausse des prix jusqu’au printemps.»
La Belgique, de son côté, a connu une hausse des prix de l’énergie plus forte qu’en France, qui s’est répercutée sur les prix de l’alimentation. «Les coûts importants des sociétés doivent être réintégrés dans le prix des produits. Cette inflation est au départ énergétique. Elle se traduit aujourd’hui dans le prix des produits alimentaires», conclut l’économiste Pierre-Alexandre Billiet.
Auria Boukar
Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le CFPJ pour le journal d’application de la promotion 61.