Pouvoir d'achat : pourquoi de plus en plus de salariés risquent de passer leur vie au SMIC ?
Même si le Smic est en croissance régulière, plus de 70 % des grands affiliés professionnels ont désormais un salaire net inférieur au Smic. Ainsi, il faut parfois plusieurs années pour qu’un salarié perçoive le salaire minimum.
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Trois hausses en moins d'un an. Depuis l'automne dernier, le Smic augmente à chaque trimestre. De 2,2% le 1er octobre 2021, de 0,9% en janvier et de 2,65% en mai dernier. Et ce n'est pas terminé. Selon l'Insee, une quatrième revalorisation devrait intervenir d'ici l'automne prochain du fait d'une inflation qui devrait se maintenir au-delà des 2% dans les prochains mois.
A priori une bonne nouvelle en cette période d'inflation galopante pour les personnes payées au salaire minimum et qui représentaient 12% du total des salariés du privé en 2021 selon la Dares.
Le problème c'est qu'à chaque nouvelle hausse du Smic, un nombre croissant de branches professionnelles se retrouvent en dehors des clous. Leurs grilles de salaires se retrouvent pour partie en dessous de ce salaire minimum. Sur les 171 branches professionnelles de plus de 5000 salariés, 120 d'entre elles ont des salaires minimums conventionnels inférieurs au Smic. Un record. Elles n'étaient que 37 au 31 décembre 2020 et 108 en octobre dernier. Depuis la poussée inflationniste de 2021, leur nombre a triplé.
Cela ne veut pas dire que les salariés de ces branches sont payés en dessous du Smic, ce qui est illégal. En revanche, de nombreux salariés risquent d'être piégés à ce salaire minimum.
"Ces augmentations vont accroître le nombre de salariés dans les parages du Smic, prévient Thierry Pech, le directeur général de Terra Nova qui publie une étude sur les "smicards à vie". Cela provoque un mal-être chez les salariés et accentue les tensions de recrutement."
Le "piège à Smic"
Comment expliquer ce "piège à Smic"? Si les entreprises sont tenues de payer leurs salariés au minimum 1645,58 euros brut (le Smic au 1er mai 2022), soit environ 1300 euros net par mois, elles ont le droit d'appliquer ensuite l'évolution des rémunérations en fonction des grilles conventionnelles. Or, si plusieurs niveaux de ces grilles sont en dessous du Smic, les salaires peuvent ne pas évoluer durant plusieurs années, le temps que l'échelon conventionnel rattrape et dépasse le niveau du salaire minimum.
Dans le secteur industriel de la volaille, il y avait par exemple en début d'année "douze coefficients au-dessous du smic", rappelle-t-on du côté de la CFDT. Autrement dit, si l'on peut espérer franchir un échelon tous les 12 mois, il faudrait en théorie 12 ans pour rattraper le Smic.
"Dans certains secteurs de l’agroalimentaire, des ouvriers se trouvent aujourd’hui et depuis de longues années "scotchés" au salaire minimum alors même que leurs compétences et leur expérience s’accroissent avec le temps, constate l'étude de Terra Nova. Cette situation est un facteur d’injustice, voire de ressentiment pour les intéressés."
Que vous ayez quatre, cinq ou six ans d'expérience, vous toucherez alors le même salaire qu'un débutant dans votre secteur. Et avec les hausses successives du Smic, de plus en plus de salariés risquent d'être concernés dans les années à venir.
"Cette histoire, c’est un peu celle du rocher de Sisyphe: alors même qu’il faut de longs mois (et parfois des années…) pour remonter les minima de branche au niveau du salaire minimum national, la moindre augmentation de ce dernier impose de recommencer…", s'inquiète le think tank.
Les branches plus efficaces pour le pouvoir d'achat
D'autant plus urgent que la hausse des minima de branche auraient davantage d'effets positifs sur le pouvoir d'achat que la hausse du Smic. Une étude de l'Insee de 2018 a montré que, dans les entreprises de plus de 10 salariés, une augmentation des minima de branche entraîne des revalorisations salariales plus fréquentes qu’une augmentation équivalente du Smic.
"Toutes choses égales par ailleurs, dans les entreprises de 10 salariés ou plus, un surcroît de 1% des minima conventionnels augmente la probabilité de revalorisation de 2,1 points, contre 0,8 point pour un surcroît similaire du Smic", concluent les chercheurs.
D'où l'empressement du gouvernement à encourager les branches à renégocier rapidement leurs grilles de salaires.
Le problème c'est que certaines trainent les pieds. D'abord parce qu'avec l'inflation, de nombreuses entreprises préfèrent contenir leurs hausses des coûts en profitant des exonérations. Les employeurs bénéficient, sous certaines conditions, d’une réduction des cotisations et contributions patronales sur les rémunérations inférieures à 1,6 Smic par an. La renégociation des grilles pourraient leur faire perdre cet avantage fiscal sur un nombre important de salariés.
Après la carotte, le bâton
Comment les contraindre toutefois à revoir leurs grilles salariales? D'abord en les enjoignant à renégocier. C'est ce qu'avait fait Elisabeth Borne, alors
ministre du Travail du gouvernement précédent ou encore Gérard Larcher en 2005 alors ministre délégué aux relations du travail sous Chirac constatant que le nombre de Smicards avaient atteint un niveau record en France avec 16,3% salariés au salaire minimum.
Si ces incitations peuvent être fructueuses, elles ne suffisent plus lorsque le Smic augmente tous les trois mois. Des mesures plus coercitives s'imposent alors. C'est ce que préconise Terra Nova.
D'abord en jouant sur les niveaux d'exonération de cotisation. Si votre branche n'adaptent pas leurs grilles, les entreprises du secteur ne bénéficient plus des aides fiscales.
"C'était la méthode Sarkozy en 2007, rappelle Thierry Pech. Mais elle n'a pas été adoptée car c'était considéré comme injuste pour les entreprises qui elles jouaient le jeu au sein de branches non vertueuses."
Le think tank envisage dès lors un système plus complexe où toute la branche écoperait d'un malus en termes d'exonération, à l'exception des entreprises vertueuses qui mettraient à jour leur grille de rémunération au sein des accords d'entreprises.
Mais c'est une troisième voie qui aurait les faveurs du gouvernement. Pour inciter les partenaires sociaux des branches à négocier régulièrement, le ministère du Travail songe à la menace de fusion administrative. Si un secteur ne met pas à jour ses grilles, il pourrait être fusionné avec un autre plus prompt à s'adapter aux hausses de Smic. Dans le projet de loi sur le pouvoir d'achat qui devrait être présenté le 6 juillet, le faible niveau des négociations salariales seront un critère pour fusionner deux branches entre elles. Le bâton du gouvernement sera-t-il efficace?