La Cour des Comptes publiera mardi 5 juillet un rapport sévère sur les dysfonctionnements croissants du marché de l'électricité en France depuis dix ans, demandant au gouvernement une évolution rapide, d'ici dix-huit mois, des outils de régulation mis en place depuis la libéralisation du marché européen de l'électricité. La Cour s'est lancée dans une rare et unique évaluation de la politique publique complexe mise en place depuis dix ans pour essayer de se conformer aux exigences bruxelloises d'introduire de la concurrence sur les marchés de l'électricité, tout en tentant de préserver pour les consommateurs des tarifs bas, issus du nucléaire depuis longtemps amorti de l'opérateur public historique EDF.
Son verdict est sans appel : l'organisation du marché de l'électricité en France "n'est plus ni lisible, ni pilotable", souligne la Cour dans ce rapport de 268 pages qui sera publié mardi par les magistrats de la rue Cambon, après plus d'un an de travail. Il incite les pouvoirs publics à négocier avant "au plus tard fin 2023" un nouveau moyen de régulation. Pour parvenir à son constat, la Cour a décortiqué le fonctionnement et le dérapage progressif des trois principaux dispositifs d'intervention mis en place par la loi Nome (nouvelle organisation du marché de l'électricité) du 7 décembre 2010 pour réguler le marché.
Trois principaux dispositifs remis en question
Il s'agit du Tarif réglementé de vente (TRV), dont bénéficient près de 70 % des ménages, de l'Accès régulé au nucléaire historique (Arenh) qui accorde jusqu'à fin 2025 un prix réduit sur un quota annuel d'électricité nucléaire vendue aux industriels consommateurs d'énergie et aux distributeurs alternatifs d'électricité et enfin du "mécanisme de capacité". Ce "gentleman's agreement", très rémunérateur entre gros industriels consommateurs, permet de hiérarchiser les besoins pour éviter les blackouts durant les pics de consommation hivernale. La Commission européenne ne l'a accepté que jusqu'en 2026.
La Cour note que les TRV, censés protéger les consommateurs des brusques variations des marchés de gros, et acceptés à titre dérogatoire par Bruxelles, sont depuis 2019 "de plus en plus exposés aux variations des prix de marché". Le système institué autour de l'opérateur historique pour instiller mécaniquement une sorte de concurrence a de facto créé une inflation des prix de l'électricité, souligne la Cour. De fait, EDF n'est plus en capacité de garantir que les prix des consommateurs seront alignés sur ses coûts de production, ce qui était l'objectif visé, remarquent les magistrats.
La Cour souligne par ailleurs que le dispositif Arenh "ne s'est pas déroulé comme prévu" mais qu'il a permis "la couverture des coûts d'EDF complets" sur les dix ans, soulignant même que les "revenus globalement tirés de la production nucléaire ont été supérieurs de 1,75 milliards d'euros aux coûts comptables de cette production entre 2011 et 2021", contrairement à ce qu'assurent EDF et ses syndicats.
Capital