Renationalisation d’EDF : « La fin d’une anomalie boursière »
L’entrée en Bourse de l’énergéticien, en 2005, dans le cadre d’une politique de développement effrénée, s’est heurtée à l’importance des investissements auxquels le groupe doit faire face, au niveau de sa dette et à la nature contrainte de ses revenus, analyse Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».
Table of Contents (Show / Hide)
![Renationalisation d’EDF : « La fin d’une anomalie boursière »](https://cdn.gtn24.com/files/france/posts/2022-07/thumbs/edf_jpg.webp)
Déjà évoquée en mars par Emmanuel Macron, la renationalisation d'EDF à 100% a été remise sur la table par Elisabeth Borne mercredi lors de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale.
"Je vous confirme aujourd'hui l'intention de l'État de détenir 100% du capital d'EDF. Cette évolution permettra à EDF de renforcer sa capacité à mener dans les meilleurs délais des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique", a-t-elle affirmé.
• La nationalisation, c’est quoi ?
L'énergéticien est en réalité déjà largement public puisqu'il est détenu à près de 84% par l'Etat. Les salariés en possèdent 1%, et des actionnaires institutionnels et individuels se partagent les 15% restants.
L'Etat a une telle mainmise sur EDF qu'il a pu le contraindre en mars d'augmenter de 20% le quota annuel d'électricité vendu à prix réduit à ses concurrents, à 120 TWh, contre 100 TWh auparavant. Une manière de contenir la hausse des tarifs réglementés de l'électricité à 4%, dans le cadre du bouclier tarifaire.
Mais cette décision a coûté 8 milliards d'euros à EDF et l'a mis en difficulté financière. L'Etat est venu à la rescousse quelques semaines plus tard en participant à hauteur de 2,7 milliards d'euros (sur 3,1 milliards) à une augmentation de capital d'EDF. A l'époque, Bruno Le Maire assurait que cette opération n'avait "rien à voir avec une nationalisation".
• Combien ça va coûter ?
Pour faire revenir EDF à 100% dans son giron, l'Etat doit racheter les 16% qui lui manquent et qui sont en Bourse. Même si le cours de l'action a été dopé de près de 15% par les annonces du gouvernement, il clôturait mercredi à 9 euros.
Un montant bien inférieur à la valeur de son action lors de son introduction en 2005, qui était alors de 32 euros. "Le titre a même grimpé jusqu’à 80 euros l’action, c’était la star du CAC", remarque Nicolas Doze, éditorialiste de BFM Business.
Cette opération devrait coûter entre 6 et 7 milliards d’euros à l'Etat, en fonction de la prime accordée aux actionnaires. Il y aura ensuite une loi de nationalisation qui devrait durer une grande partie de l'année 2023.
• Quelles conséquences pour les clients?
En France, l'Etat décide déjà des prix de l'électricité pour les particuliers en fixant des tarifs réglementés. Plus de 70% des foyers français en sont clients. Par ailleurs, pendant la crise, le gouvernement a décidé d'un bouclier tarifaire de 4% pour préserver le pouvoir d'achat des Français, alors que les prix de l'énergie flambaient. A court terme, rien ne changera pour les clients.
• Quel avenir pour EDF?
"Nationaliser EDF, c'est nous donner toutes les chances d'être plus indépendants dans les années qui viennent en matière énergétique", a déclaré jeudi Bruno Le Maire sur Europe 1. "C'est une décision stratégique forte et nécessaire pour le pays".
EDF est en grande difficultés financières. L'entreprise est incapable de mettre en oeuvre seule le plan de renouvellement du parc nucléaire souhaité par Emmanuel Macron. L'exécutif vise la construction de six nouveaux EPR dans le pays, pour un budget d'environ 60 milliards d'euros. Soit un montant proche de la dette nette d'EDF prévue d'ici la fin de l'année.
Derrière cette renationalisation se cache un projet plus grand. L'Etat devra redéfinir la doctrine tarifaire de l'électricité pour que la situation économique d'EDF s'améliore. Il entamera alors une étape de négociation avec Bruxelles sur la refonte globale du secteur énergétique en France.
L'Etat français va donc reprendre la main sur le nucléaire mais en contrepartie, la Commission européenne, qui ne s'oppose pas en soit à la nationalisation, devrait demander des concessions pour avoir plus de concurrence dans d'autres activités du secteur énergétique.
Ce qui devrait aboutir à une séparation des activités d'EDF, comme le supposait le projet "Hercule". L’idée serait de scinder EDF en deux. Une entité publique chapeauterait les activités non-rentables, comprenant les activités nucléaires. Une seconde réunirait les activités renouvelables et la distribution d'életricité. Cette dernière partie serait remise en bourse, ce qui devrait permettre à EDF et à l'Etat de récupérer une dizaine de milliards d'euros.
A l'extrême droite, Marine Le Pen considère que cette renationalisation "n'a aucun autre intérêt qu'en réalité démanteler EDF comme l'exige l'Union européenne". Ce serait "une perte financière pour les Français", car au moment où le gouvernement "avoue enfin que la situation financière (de la France) est dramatique,
dramatique, on nous dit on va dépenser de l'argent dans EDF, alors que ça ne sert à rien", a-t-elle affirmé sur RTL.L'extrême gauche est plutôt satisfaite. Pour Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, "recapitaliser EDF oui, mais nous voulons avoir le débat au parlement pour que l'ensemble de la représentation nationale puisse dire ce que nous mettons dedans", a-t-il souligné sur franceinfo.
"On verra ce qu'il y a dans le texte. On verra si c'est une nationalisation des pertes quand il y a eu une privatisation des profits", a souligné le député La France Insoumise François Ruffin mercredi à l'Assemblée. "Le privé n'a pas entretenu, a sous-traité (...), et maintenant que ça va mal, il s'agit de nationaliser", a-t-il insisté jeudi sur LCI.