Les multiples témoignages de rescapés parus dans la presse ces dernières années racontaient déjà le ciblage arbitraire des populations, le système carcéral, les stérilisations forcées et l’endoctrinement pour effacer les signes distinctifs de ces cultures.
Les « Xinjiang Police Files » apportent cependant une autre dimension à cette tragédie. Ces documents issus directement des forces de sécurité chinoises et publiés, mardi 24 mai, par Le Monde et treize autres médias internationaux confirment de l’intérieur l’obsession sécuritaire et l’effort d’essence totalitaire déployé pour remodeler une population. Ils décrivent, avec la précision terrifiante d’une notice d’utilisation, la machine à broyer à laquelle sont livrées des familles entières, suspectes par association, internées du seul fait d’être proches d’un autre détenu, ou en raison d’une « forte atmosphère religieuse familiale ».
Et la machine tourne à plein régime si l’on se fie au chef de la région d’alors, Chen Quanguo. Ce dernier se félicite, dans des discours internes au Parti communiste chinois, que les « quatre ruptures » aient été « bien accomplies », à savoir casser les lignées des familles, les racines des populations, leurs relations avec l’extérieur et même avec leurs « origines ».
Ces révélations surviennent au moment où la haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Michelle Bachelet, effectue une visite longuement négociée en Chine, notamment au Xinjiang. Les termes du déplacement n’ont pas été rendus publics. Les chances d’une réelle enquête de terrain indépendante, sans entraves, sans mise en scène, sont très faibles, et les autorités chinoises pourraient, au contraire, détourner la séquence pour en tirer une validation de leur politique radicale.
La réponse de l’ancienne dirigeante chilienne à l’aggravation des abus commis au Xinjiang a jusqu’à présent été particulièrement discrète, tout comme l’a été celle du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, pour ne pas parler du silence des pays prompts à dénoncer un racisme antimusulman uniquement à propos des pays occidentaux. Cet état de fait traduit la nouvelle influence de Pékin sur le système international, sa capacité à peser sur le vote, dans les assemblées onusiennes, de nombreux pays que le régime soutient économiquement.
Il est aussi le signe d’une brutalité assumée des relations internationales et l’illustration d’une ère nouvelle de l’impunité.