Arabie saoudite : malgré sa liberté, Raif Badawi n'est pas vraiment libre
Le blogueur et militant saoudien est toujours privé de sa liberté de voyage et d’expression pour les 10 prochaines années.
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Sitôt libéré, le prisonnier politique Raïf Badawi s’est mis à la recherche d’un emploi en Arabie saoudite, à défaut de pouvoir serrer dans ses bras sa famille qui l’attend à Sherbrooke.
«Je lui ai dit de prendre son temps... Il a été emprisonné 10 ans ! Mais il est toujours inquiet pour moi, de comment je réussis à payer le loyer et la nourriture», confie son épouse, Ensaf Haidar.
Les démarches de son mari, condamné pour ses prises de position en faveur des droits de la personne en 2012 et libéré en mars dernier, sont vaines pour l’instant.
Et ce, même s’il est prêt à travailler dans n’importe quel domaine, souligne sa femme.
Pas si libre
Il est toujours privé de sa liberté de voyage et d’expression pour les 10 prochaines années.
«Oui, il est libre, mais il n’est pas si libre que ça», rappelle Ensaf à quiconque veut l’entendre. «Il sera réellement libre quand on sera tous ensemble, sous le même toit.»
Maigre consolation, Raïf peut maintenant revoir sa sœur, appeler sa famille par vidéo, manger ce qu’il veut et dormir dans un lit confortable.
Cela fait changement de la prison, où il s’était habitué à des repas «dégueulasses», et à un lit superposé, dans une cellule partagée avec une vingtaine de criminels, relate Mme Haidar.
Marqué à vie
Dans les circonstances, elle rapporte que Raïf se porte bien. Évidemment, «il n’est pas capable de tout dire, il a des sentiments mélangés», souffle-t-elle.
Si son emprisonnement et les 50 coups de fouet qu’il a reçus en 2015 sont chose du passé, les cicatrices mentales, elles, sont toujours présentes.
Après 10 longues années à lui parler trop peu souvent au téléphone, les proches de Raïf Badawi font maintenant des appels vidéo avec lui à tout moment, même en préparant le souper.
«On se parle tout le temps, tout le temps, tout le temps!» s’exclame son épouse, Ensaf Haidar, réfugiée au Québec avec leurs trois enfants.
«La première fois que les enfants l’ont revu, ils m’ont dit : “Oh my god, papa a des cheveux blancs!”» plaisante-t-elle, à l’évocation de l’appel vidéo tant espéré du 11 mars dernier, jour de sa libération.
C’est que Miriyam, la cadette de Raïf, avait 4 ans la dernière fois qu’elle a vu son père. Elle en a aujourd’hui 14.
Quant à Ensaf, rires et larmes de soulagement se sont confondus en revoyant finalement le visage de son mari après tout ce temps.
«Il a changé, mais il est encore beau. Il a le même sourire, le même regard. J’ai vu de l’amour et de l’espoir dans ses yeux», décrit Mme Haidar.
Pâle copie
Pendant une décennie, sa famille a dû se contenter de rares appels de quelques minutes depuis un téléphone public de la prison saoudienne.
Au contraire, les appels vidéo font maintenant partie de leur quotidien.
«On fait la cuisine à distance ensemble, on peut s’appeler quand on veut!» raconte Ensaf.
Elle sera justement interrompue quelques minutes plus tard par un court appel de son mari.
Bien sûr, cette communication constante n’est qu’une pâle copie de la vie qu’ils pourraient mener si l’Arabie saoudite n’interdisait pas à l’ex-prisonnier politique de sortir du pays.
Ensaf elle-même redoute d’y retourner avec ses enfants, étant donné les risques pour leur sécurité.
Espoir de retrouvailles
À Sherbrooke, des passants lui demandent souvent quand Raïf pourra finalement la rejoindre.
«En vérité, je ne sais pas quand cette journée va arriver. Mais quand il sera ici, on pourra marcher autour du lac [des Nations], aller à Orford, partout», dit-elle, des étoiles dans les yeux.
Ensaf Haidar a toujours espoir que le ministre de l’Immigration du Canada lui accorde la citoyenneté, comme l’ont demandé à maintes reprises les élus canadiens.