Fusion nucléaire : une percée « historique » vient d’être franchie
Des chercheurs de Californie doivent annoncer ce mardi une «avancée scientifique majeure» dans la fusion nucléaire. Cette technique, qui aurait pour la première fois produit un «gain net d’énergie», générerait moins de déchets radioactifs que celle de la fission, aujourd’hui utilisée.
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Après treize années d’efforts acharnés, les chercheurs américains du National Ignition Facility sont parvenus atteindre l’ignition, processus où la fusion de noyaux atomiques produit davantage d’énergie qu’il n’en consomme. Le tout grâce au laser le plus puissant au monde, construit pour les besoins de la dissuasion nucléaire des Etats-Unis.
Le résultat a été jugé tellement important qu’il a été annoncé par la secrétaire américaine à l’Energie en personne, Jennifer Granholm, le 13 décembre 2022 depuis Washington : "C’est un exploit historique pour les chercheurs du NIF [National Ignition Facility] qui ont consacré leur carrière à rendre possible l’ignition par fusion, une étape majeure qui suscitera sans doute encore plus de découvertes." Cela faisait 70 ans, en effet, que la communauté scientifique cherchait à produire en laboratoire et de manière contrôlée un tel phénomène, qui se déroule aussi bien au cœur des étoiles que dans les armes thermonucléaires (bombes H). Pendant l’ignition, des noyaux d’hydrogène fusionnent en libérant des quantités phénoménales d’énergie, suffisamment pour alimenter d’autres réactions de fusion. Le processus produit davantage d’énergie qu’il n’en consomme. Et c’est ce graal que les quelque 200 physiciens du NIF ont pu atteindre le 5 décembre 2022, vers 1h du matin.
L'annonce a été faite depuis Washington par la secrétaire américaine à l'Energie, Jennifer M. Granholm, en compagnie de personnalités scientifiques et d'autres membres de l'administration du président Joe Biden. Crédits : Lawrence Livermore National Laboratory
Un laser qui valait 3,5 milliards de dollars
Ils ont utilisé pour cela le laser le plus puissant au monde. Grande comme trois terrains de football et située à Livermore en Californie, l’installation a couté 3,5 milliards de dollars et a été fabriquée en premier lieu pour les besoins de la dissuasion nucléaire américaine. Objectif : réaliser des expériences de physique associées à de puissants moyens de calcul, afin de certifier les armes nucléaires des Etats-Unis sans effectuer de nouveaux essais,
suspendus en 1992. Géré par l’Administration de sécurité nucléaire du département de l’Energie, le laser du NIF est constitué de 192 faisceaux. Après un parcours de plusieurs centaines de mètres, ces faisceaux sont dirigés vers une "chambre d’expérience" de 10 mètres de diamètre, puis focalisés sur une cavité de la taille d’un dé à coudre constituée d’or et d’uranium appauvri. Celle-ci émet alors des rayons X en son sein, qui chauffent une capsule sphérique de 2 millimètres de large où se trouvent les noyaux d’hydrogène à fusionner. En implosant, la capsule génère des niveaux de pression et de température plus importants que ceux qui règnent au centre du Soleil. Des réactions de fusion sont alors déclenchées, libérant deux types de particules : des neutrons très énergétiques, tout d’abord, qui s’échappent du système, mais aussi des noyaux d’hélium qui y déposent leur énergie… et accroissent encore la température jusqu’à 150 millions de kelvins !
Les prédictions théoriques n'étaient pas assez fiables
Lorsque la construction du NIF a été finalisée en 2009, ses responsables pensaient parvenir à l’ignition d’ici deux ou trois ans. "Mais l’objectif s’est révélé beaucoup plus difficile à atteindre, quantité de défis scientifiques et techniques devant être surmontés", signale Erik Lefebvre, responsable au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA) des expériences laser-plasma du Laser Mégajoule, installation située à une trentaine de kilomètres de Bordeaux, assez similaire au NIF, qui devrait être achevée en 2027. "Les prédictions théoriques qui déterminaient les paramètres expérimentaux et devaient nous guider vers l’ignition étaient trop imprécises", explique Sébastien LePape, qui a participé aux expériences du NIF de 2009 à 2019 avant de rejoindre le Laboratoire pour l’utilisation des lasers intenses de l’Ecole polytechnique à Palaiseau (Essonne). Les chercheurs ont dû progresser ainsi empiriquement. Et solutionner une multitude de problèmes par essais et erreurs "avec souvent le sentiment d’être au milieu de la nuit", se souvient Sébastien LePape.
Trouver la bonne recette
L’une des difficultés résidait dans la géométrie de l’implosion, qui devait être parfaitement sphérique et symétrique. Autre problème : contrôler très finement les instabilités hydrodynamiques qui apparaissent lorsque l’implosion comprime les noyaux d’hydrogène à la vitesse de plusieurs centaines de kilomètres par seconde. "Les matériaux de la capsule ont été aussi progressivement modifiés", signale Sébastien LePape.
Trouver la bonne recette
L’une des difficultés résidait dans la géométrie de l’implosion, qui devait être parfaitement sphérique et symétrique. Autre problème : contrôler très finement les instabilités hydrodynamiques qui apparaissent lorsque l’implosion comprime les noyaux d’hydrogène à la vitesse de plusieurs centaines de kilomètres par seconde. "Les matériaux de la capsule ont été aussi progressivement modifiés", signale Sébastien LePape. La bonne recette, faite d’un mélange de diamant et de tungstène, a permis de réduire la durée des impulsions lasers à seulement quelques milliardièmes de seconde. Et d’atteindre ainsi, pour ces lasers, des niveaux d’énergie supérieurs à 1 mégajoule (millions de joules). "La taille des trous par lesquels les faisceaux pénètrent dans la cavité a été par ailleurs diminuée, afin de laisser s’échapper moins de rayons X et accroître ce faisant l’efficacité de la chaudière", détaille Erik Lefebvre.
Des progrès décisifs dès 2021
Tous ces efforts ont fini par payer. Car en aout 2021, le NIF réalisait un tir extrêmement précis d’une énergie de 1,92 mégajoule, qui techniquement permettait déjà d’atteindre le seul fatidique de l’ignition. "L’élévation de température produite par les réactions de fusion augmentait en effet plus rapidement que les pertes causées par des phénomènes de rayonnement et de conduction thermique", souligne Erik Lefebvre. L’énergie dégagée par les neutrons était toutefois de 1,37 mégajoule, avec par conséquent un solde négatif. Il restait donc encore à démontrer que l’énergie produite pouvait être supérieure à celle apportée au système. Et ce jalon symbolique a pu être franchi en décembre 2022, en augmentant encore l’énergie des lasers. Portée à 2,05 mégajoules, celle-ci a libéré en effet 3,15 mégajoules d’énergie de fusion soit un gain de 153%. Bingo !
Un évènement qui va électriser la communauté
Il faut cependant préciser que les lasers du NIF nécessitent eux-mêmes 322 mégajoules d’énergie pour fonctionner. "L’exploitation de l’énergie de fusion pour des applications civiles et industrielles est donc une perspective encore très lointaine, qui prendra sans doute plusieurs décennies", estime Erik Lefebvre. Mais ces résultats vont électriser tout l’écosystème de recherche qui travaille sur la fusion nucléaire, composé d’acteurs étatiques, universitaires, et de plus en plus d’entreprises privées. Car un verrou a été clairement levé.