Carmela, Sigal, Valentin… Les destins brisés des Français tués dans l’attaque du Hamas le 7 octobre
l’attente de l’hommage national promis par Emmanuel Macron, la liste nominative des victimes françaises de l’attaque terroriste du Hamas reste inaccessible. Peu à peu, malgré tout, certaines familles acceptent d’évoquer leurs proches disparus.
Table of Contents (Show / Hide)
Parmi les personnes rapatriées de Gaza par la France, plusieurs ont été contraintes de laisser derrière elles des proches n'ayant pas obtenu d'autorisation de sortie de la part des autorités israéliennes. Des situations dramatiques dénoncées par leurs avocats, qui demandent à Paris d'accentuer la pression sur Israël pour obtenir leur exfiltration de l'enclave palestinienne.
Ils ont dû laisser derrière eux un être cher avec chaque jour la peur de recevoir une terrible nouvelle. Pour certains évacués de la bande de Gaza, bombardée sans relâche par l'armée israélienne, la vie s'écrit en pointillés en France, plombée par l'absence d'un frère, d'une sœur ou d'une nièce.
"Je me sens en sécurité en France mais ma vie ne sera pas complète tant que je ne pourrai pas être tranquille en ce qui concerne ma famille", témoigne M. Y., qui préfère garder l'anonymat par crainte de compromettre les chances de sortie de ses proches.
Ce ressortissant français, évacué de l'enclave assiégée le 3 novembre, a quitté Gaza sans ses sœurs, dont l'une est enceinte de jumeaux. "En raison des conditions difficiles actuelles et des déplacements forcés, l'un des bébés est malheureusement décédé. Ma sœur ne peut pas le faire retirer, car cela pourrait mettre en danger l'autre bébé, qui est lui toujours vivant. À Gaza, elle ne peut pas bénéficier d'un soin médical approprié", s'inquiète M. Y.
"Devons-nous attendre la mort d'un membre de notre famille avant que les efforts nécessaires soient déployés pour les évacuer ?", demande de son côté M. K. Cet employé de l’Institut français, un centre culturel relevant du ministère des Affaires étrangères, a été évacué le 21 novembre, mais sans de nombreux membres de sa famille, dont son père, également employé de l’organisme.
"Entrer en contact avec eux est extrêmement difficile en raison de l'absence d'Internet et de communications", explique t-il. "Leur état de santé est très préoccupant, ils sont actuellement dans la rue sans abri, sans moyens de subsistance, sans nourriture, sans soins médicaux et sans eau potable."
"Logiques absurdes"
L'angoisse est également quotidienne pour Mme D. Disposant d'un titre de séjour pluriannuel, elle a quitté Gaza le 7 décembre avec ses enfants en laissant un époux derrière elle.
"Nous sommes vivants et en sécurité. Mais sur le plan psychologique, nous ne nous portons pas bien. Nous sommes traumatisés et avons du mal à réaliser l'ampleur de ce qui se passe", témoigne-t-elle. "Les bombardements, la peur et le danger menacent mon mari à chaque minute. Je suis hantée par la crainte que cela pourrait devenir une séparation définitive."
Autre exemple déchirant, celui de Mme U., évacuée par le point de passage de Rafah le 23 novembre avec ses enfants mais sans son mari, pourtant employé de l’Institut français depuis 2005. Cette femme, qui a perdu 13 membres de sa belle-famille dans un bombardement israélien, demande au Quai d'Orsay de "prendre les mesures nécessaires" pour faire évacuer son époux, "qui a loyalement servi la France pendant 18 ans".
"J'essaye de rester forte pour mes jeunes enfants, mais la situation est très difficile. Je me sens impuissante ici, seule. Comme je ne maîtrise pas la langue française, je ne peux pas travailler pour subvenir ne serait-ce qu'aux besoins de base de mes enfants", explique-t-elle.
Contactée par France 24, une source diplomatique confirme que les autorités françaises travaillent actuellement à l'évacuation d'une cinquantaine de personnes : des ressortissants français et des agents de l’Institut français de Gaza, ainsi que leurs ayants droit. Au 1er janvier, la France avait déjà procédé à l'évacuation de 168 personnes.
Pour organiser ces opérations, le consulat général à Jérusalem établit une liste de noms régulièrement mise à jour. Les sorties sont ensuite soumises à une autorisation au cas par cas des autorités israéliennes et égyptiennes.
"Au final, ce sont les Israéliens qui décident mais avec parfois des logiques absurdes. Ils peuvent par exemple approuver la sortie d'un enfant mais sans ses parents", s'insurge l'activiste d'origine palestinienne Razan Alazzeh, qui plaide la cause de ces familles brisées par la guerre.
La France impuissante ?
"Il est aberrant qu'Israël ait un droit de regard sur la sortie de personnes que la France est prête à accueillir", ajoute l'une des avocates des familles concernées. Elle dénonce "l'arbitraire" des décisions israéliennes mais aussi le manque de transparence de la diplomatie française.
"Le problème vient notamment du fait que le ministère des Affaires étrangères, mis à part des réponses globalisées, ne nous donne pas clairement les critères de sa doctrine concernant les évacuations et se retranche derrière l'autorisation de sortie délivrée par Israël. On est face à un mur du silence alors que l'on relaye des demandes très précises et documentées", affirme l'avocate.
De son côté, la diplomatie française assure faire tout son possible pour obtenir des issues positives malgré une situation très dégradée sur le terrain. Plus de trois mois après l'attaque du 7 octobre contre Israël, Gaza est en ruines et la quasi-totalité de ses 2,3 millions d'habitants est réfugiée dans une zone minuscule du sud de l'enclave.
Pour les soutiens de ces familles, la France est pourtant loin d'être impuissante face aux décisions israéliennes. Ils en veulent pour preuve le cas tragique de la famille d'Ahmed Abu Shamla, employé de l'Institut français de Gaza depuis 23 ans, mort le 16 décembre des suites de ses blessures après un bombardement israélien. Ce dernier réclamait depuis un mois son évacuation ainsi que celle de ses fils – sans succès. Moins de deux semaines après sa mort, ses quatre fils majeurs ont pourtant pu sortir de l'enclave palestinienne pour rejoindre la France. "Cela signifie que quand la France veut, la France peut", estime Razan Alazzeh.
"Cela a été très dur d'apprendre la mort de quelqu'un pour qui nous avions formulé une demande", se souvient l'avocate des familles. "Son décès a par ailleurs renforcé le sentiment d'urgence", alors que l'intensité de l'offensive israélienne ne faiblit pas malgré les promesses d'opérations plus ciblées.