Manifestations au Sri Lanka : Amnesty condamne les violences contre des journalistes, dont un photographe de la BBC
Des centaines de soldats et policiers sri-lankais ont brutalement démantelé peu avant l’aube vendredi le campement des manifestants antigouvernementaux à Colombo.
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Moins de 24 heures après l’investiture de Ranil Wickremesinghe, les forces de sécurité en tenue anti-émeutes, armées de fusils d’assaut automatiques et de matraques, ont délogé les manifestants, démonté les barricades et encerclé le complexe présidentiel.
Il avait été partiellement envahi par des milliers de manifestants, précipitant la chute du président Gotabaya Rajapaksa, il y a près de deux semaines.
« La police et les forces de sécurité ont agi pour évacuer les manifestants qui occupaient le Secrétariat présidentiel [palais présidentiel], la porte principale et les environs », a annoncé la police dans un communiqué, « neuf personnes ont été arrêtées » dont « deux ont été blessées. »
Des témoins ont vu des soldats interpeller plusieurs personnes et détruire les tentes dressées le long de l’avenue menant au palais présidentiel, tandis que la police bloquait les rues adjacentes pour empêcher de nouveaux manifestants d’arriver sur place.
Selon les témoignages, des soldats ont agressé des individus, dont des journalistes, à coups de matraque, alors qu’ils avançaient vers de petits groupes de manifestants rassemblés sur le campement baptisé « GotaGoGama » (« Village Va-t-en Gota[baya] »).
Ces violences ont suscité l’inquiétude de la communauté internationale. L’Union européenne a rappelé que la liberté d’expression était essentielle. « On voit mal comment le fait de la restreindre sévèrement peut aider à trouver des solutions aux crises politique et économique actuelles », a déclaré la délégation de l’UE à Colombo.
L’ambassadrice américaine à Colombo, Julie Chung, a exprimé sur Twitter, sa « grave préoccupation concernant l’escalade inutile et très inquiétante de la violence contre les manifestants du jour au lendemain ». « Ce n’est pas le moment de sévir contre les citoyens », a-t-elle souligné, après une rencontre entre le président Wickremesinghe et plusieurs diplomates en poste à Colombo.
Le haut-commissaire canadien David McKinnon a également jugé « crucial que les autorités agissent avec retenue et évitent la violence ».
Amnistie internationale a exhorté les autorités sri-lankaises à respecter la dissidence et a condamné le recours à la force contre des journalistes, dont un photographe de la BBC, qui couvraient l’opération militaire.
Selon Human Rights Watch, plus de 50 personnes ont été blessées au cours de l’opération qui, estime l’ONG, « envoie un message dangereux au peuple sri-lankais, à savoir que le nouveau gouvernement a l’intention d’agir par la force brute plutôt que par la voie légale ».
Comportement de « bêtes »
Les manifestants affirmaient leur intention de poursuivre la contestation, mais le mouvement semblait s’essouffler après quatre mois de manifestations contre l’autorité du clan Rajapaksa.
Le président Wickremesinghe, élu grâce aux voix du parti des Rajapaksa, « est un autre dictateur en devenir », estimait le militant Nuzly Hameem, un ingénieur de 28 ans.
Manifestante de la première heure sur le campement, Nirosha Daniel, elle, hurlait aux forces de l’ordre : « Vous vous êtes comportés comme des bêtes ! »
Selon Basantha Samarasinghe, dirigeant syndical et homme d’affaires de 45 ans, « la population souhaite un changement de système » et « le parlement devrait être dissous », car « il n’a pas de mandat public ».
Le nouveau président avait mis en garde mercredi soir « les fauteurs de troubles » et promis la sévérité s’ils tentaient de perturber son gouvernement.
« Si on essaye de renverser le gouvernement, d’occuper le bureau du président et celui du premier ministre, il ne s’agit pas de démocratie, et nous traiterons ceux-là avec fermeté », avait-il déclaré.
Lundi, alors encore président par intérim, M. Wickremesinghe avait instauré l’état d’urgence, accordant aux forces armées et à la police des pouvoirs étendus.
Avocat de Rajapaksa au gouvernement
Il hérite d’un pays ravagé par une crise économique catastrophique, à court de devises, marqué par de longues pannes d’électricité, des pénuries de nourriture, d’électricité, de carburant et de médicaments depuis des mois.
Le chef de l’État, élu pour la période restante du mandat de M. Rajapaksa qui se termine en novembre 2024, a nommé vendredi matin, sans surprise, Dinesh Gunawardena, son ami d’enfance, au poste de premier ministre.
Les deux hommes, qui ont étudié ensemble, ont sur le papier des positions idéologiques diamétralement opposées. M. Wickremesinghe, pro-occidental, est un chantre du libre-échange tandis que M. Gunawardena est un nationaliste cinghalais convaincu qui croit au socialisme et au contrôle de l’État sur l’économie.
« Nous avons des différences, mais nous avons suffisamment d’amitié pour nous unir afin de traiter le principal problème du pays, à savoir l’économie », a déclaré M. Gunawardena aux journalistes peu après son investiture.
Ce dernier, ex-ministre de la Fonction publique et fervent partisan du clan Rajapaksa, a prêté serment et formé un gouvernement, investi quelques heures plus tard.
Dans ce nouveau cabinet apparaît Ali Sabry, l’avocat personnel de Gotabaya Rajapaksa, aux Affaires étrangères.
- Wickremesinghe a, quant à lui, conservé le portefeuille des Finances afin de poursuivre les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) dans l’espoir de renflouer le pays, miné par une dette extérieure colossale de 51 milliards dollars.