50 ans de la guerre du Kippour : «Les ennemis d’Israël pourraient profiter de sa vulnérabilité»
«Extrêmement vulnérable» politiquement, Israël doit envisager un conflit régional «par procuration», voire une guerre civile, estime l’historienne Frédérique Schillo.
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Cinquante ans après la guerre de Kippour, les vétérans israéliens de ce conflit sont en première ligne dans les manifestations contre la réforme de la justice, voulue par le gouvernement de Benyamin Netanyahu. Ils la considèrent comme une menace à la démocratie, et donc à la stabilité du pays. Selon eux, comme lors de la guerre de Kippour, Israël est de nouveau menacé, et risque de disparaître. Sauf que cette fois, l’ennemi vient de l’intérieur.
Dans son bureau, il expose de vieilles photos prises sur le front. Des souvenirs douloureux, qui marquent le corps et l’esprit. Yoram Eshat a 23 ans en 1973. Avec son unité de parachutistes israéliens, ils traversent le canal de Suez. Leur mission : déplacer des chars vers les lignes égyptiennes. L’opération est un fiasco. Le jeune soldat est grièvement blessé. « Cette photo est vraiment exceptionnelle. Ici, vous pouvez voir le médecin militaire, moi, je suis là. Ça donne une idée de la gravité de mes blessures », raconte avec émotion ce vétéran. « J’ai reçu des éclats, à ce niveau, sur ma main gauche. J’ai aussi eu un poumon perforé. Regardez les bandages au niveau de mon abdomen, c’était pour empêcher l’air de passer, et me permettre de respirer. Et la pire de mes blessures, c’est celle qui a atteint mon cerveau », dit-il d’une voix fatiguée.
À presque 73 ans, Yoram Eshat a toujours la moitié du corps paralysé. Il a mis des années pour réapprendre à marcher, à lire ou à écrire. Malgré son handicap, il manifeste presque toutes les semaines, contre la réforme de la justice voulue par le chef du gouvernement Benyamin Netanyahu, et ses alliés de l’extrême droite, les ministres Itamar Ben Gvir ou Bezalel Smotrich. En cette veille de Kippour, sous les applaudissements de la foule, Yoram Eshat prend la parole en public, lors d’un rassemblement des mouvements anti-réforme.
« Aujourd’hui, le monde ne tourne plus rond : notre gouvernement est composé de terroristes et de criminels. Pour eux, la vérité, la compassion, l’empathie et la paix, sont des mots grossiers. Ce sont des politiciens misérables, qui n'ont jamais vu de champ de bataille. Je parle de Ben Gvir, Smotrich et les autres… », scande-t-il depuis sa tribune, galvanisant des protestataires qui crient en chœur : « Boucha, boucha, boucha [Honte, en hébreu] ». « Ces politiciens incitent à la haine. Ils s’opposent à tous ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis. C’est-à-dire les Palestiniens, les gens de gauche en Israël, les pilotes de l’armée [qui refusent de servir sous leur gouvernement, NLDR], les manifestants anti-réforme, les magistrats. À leurs yeux, nous sommes tous des traîtres, des abrutis qui doivent être emprisonnés, et peut-être même exécutés », se désole l’ancien soldat.
« La Guerre du Kippour n’aura pas lieu »
Frédérique Schillo est l’auteure de La Guerre du Kippour n’aura pas lieu. Le titre de son livre n’a pas été choisi au hasard. Ce sont les mots prononcés à l'époque par le chef des renseignements israéliens. En 1973, tous les signaux sont au rouge. Des informations prédisent l’imminence d’une guerre arabe contre Israël. Mais les responsables de l'État hébreu choisissent délibérément de les ignorer. Ils pèchent par arrogance. Persuadés que leurs ennemis n’oseraient pas défier leur puissante armée. « Kippour, c’est l’exemple type. C’est un cas d’école. C’est une somme de renseignements dont on dispose, mais qu’on interprète mal. Et malgré tous ces renseignements, on continue. Aujourd’hui, on compare cet événement, à la crise qui agite la société sur la refonte judiciaire », analyse cette spécialiste de la politique israélienne.
« Certains parlent ici d’un putsch judiciaire. On voit très bien que la société israélienne est totalement divisée. On voit que cette réforme a des effets dramatiques sur l’économie israélienne. Le shekel dévisse. Les startups quittent Israël, et s’installent ailleurs. Ça a des effets délétères dans tous les pans de la société. Et malgré tout, le gouvernement continue et fonce dans le mur. Donc vraiment, c’est comme à l’époque. Les chefs militaires et les responsables politiques disposaient de tous les renseignements, mais continuaient à tout ignorer, ne croyant pas que le pire allait arriver », explique la chercheuse.
De la guerre de Kippour à la guerre civile
Pour Frédérique Schillo, la comparaison entre la guerre de Kippour et la crise autour de la réforme judiciaire va même au-delà de l’aveuglement des dirigeants israéliens de l’époque et d’aujourd’hui. « La société est déchirée comme jamais auparavant, avec ces manifestations qui durent depuis janvier. La bataille a également lieu au niveau de la Cour suprême. Certains évoquent une guerre civile et parlent même d’une catastrophe existentielle pour Israël », rapporte l’experte. « Et la seule catastrophe existentielle à laquelle Israël a été confronté, c’est la guerre de Kippour en 1973. Donc, on fait cette comparaison parce qu’Israël aujourd’hui apparaît très vulnérable. Et les ennemis d’Israël pourraient en profiter pour attaquer. En tout cas, c’est ce que disent aujourd'hui les militaires. L’histoire pourrait-elle se répéter ? En Israël, certains affirment : nous sommes de nouveau le 6 octobre 1973. Il est 14h. L’heure à laquelle la guerre de Kippour éclate », conclut-elle.